Ariane

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Dionysos nous a offert une parenthèse enchantée loin de l'Olympe. Et surtout méritée. Je ne l'ai jamais trouvé aussi éreinté et épuisé que depuis notre rencontre. Il se couchait plus tôt, s'endormait plus vite. Il se négligeait même dans son apparence physique, se laissant pousser barbe et cheveux. Je l'aimais bien comme ça, je le trouvais plus excitant, mais je sentais au fond que ce n'était pas pour me faire plaisir. Quelque chose le tracassait, le consumait de l'intérieur, et il refusait de s'ouvrir à moi malgré toutes les tentatives que j'esquivais dans sa direction.

Je l'ai laissé choisir notre destination, lui qui m'avait tant parlé de ses errances, de ses voyages à travers le monde. Hormis mon palais à Naxos, je ne connaissais pas grand-chose du monde qui m'entourait. Mon père Minos avait coutume de garder précieusement ses filles dans son palais, pour soi-disant nous protéger. Mais il ne pouvait empêcher notre esprit de s'évader. Au final, il a invité malgré lui le seul homme capable de détourner sa fille aînée de lui et de le trahir. Comme j'ai pu être naïve...

J'ai accompagné Dionysos dans le palais indien dans lequel nous nous sommes réfugiés, loin de ses fidèles. Je me fichais du paysage tant que je l'avais à mes côtés. Tant que ce ne soit pas l'Olympe et qu'il soit plus apaisé. Je n'arrivais pas à mettre le doigt sur l'origine de son malaise. J'étais frustrée, car au fond, je ne le connaissais encore que très peu, alors que nous vivions sous le même toit depuis le premier jour. Qui plus est, Dionysos avait toujours réussi à me rassurer quelles que soient les circonstances : sa rencontre avec sa mère, la visite d'Hestia ou d'Aphrodite... Et lorsque son tour venait, je me sentais incapable de lui rendre la pareille.

Je me suis rapprochée de lui, alors que comme à son habitude, il avait trouvé refuge dans les jardins, au milieu de la nature, en pleine contemplation. Je m'étais munie au préalable d'un seau d'eau, d'une lame effilée, de ciseaux et d'une mousse rasante. Je me suis placée derrière lui, assise en hauteur sur un tabouret. Je ne lui ai pas fait peur, ni sursauté, il avait senti ma présence à des kilomètres.

- Tout va bien ma déesse, ? me demanda-t-il en pivotant sur ses trois-quarts.

Il fait allusion à ma grossesse, je le sais. Nous ne l'avons que peu évoqué depuis l'« annonce » à ce dîner. Est-ce que c'est ça qui le rend si mutique ? Il m'a avoué lors de notre première nuit me vouloir comme la mère de ses enfants. A-t-il changé d'avis depuis ? J'ai besoin qu'il me rassure, mais son air mystérieux qu'il conserve, me confirme que ce n'est pas près d'arriver.

J'ai paniqué lorsque j'ai compris que j'étais enceinte. Plus de règles ne pouvait signifier qu'une chose. Mon premier bébé, avec l'homme que j'aime. Ce doit être une bonne nouvelle, je ne peux pas imaginer un meilleur père pour cet être à venir. Pourtant, e n'ai pas pu m'empêcher de penser à ma mère et ses grossesses. Comme j'aimerai qu'elle soit là près de moi pour me prodiguer ses conseils et partager son expérience. A l'Olympe, je me sens isolée. Même si tout le monde semble affectueux et courtois, j'ai dû mal à me sentir à ma place. Tout comme Dionysos. Je languis d'avoir des envies comme ma mère, voir mon corps changer. J'appréhende la douleur et la souffrance de l'accouchement et la crainte qu'il ne soit pas à mes côtés, comme mon père l'a été quelques fois. Je chasse mes angoisses futures pour profiter du moment présent :

- Tu acceptes que je m'occupe de toi ?

Ses yeux se plissent, et un sourire coquin se dessine sur ses lèvres. Putain, ça fait du bien de le voir sourire, je pensais qu'il l'avait perdu.

- Tu me proposes quoi ? me demande-t-il en s'approchant de moi

- Pas à ce quoi tu penses, mon ange.

Je pense lire dans son regard, crois déceler ses envies.

- Et pourquoi, c'est le bébé qui t'en empêche ?

- Non, je crois que tu as besoin d'autre chose...

Je l'oblige à se retourner et humidie ses cheveux lentement. Lorsque je vivais au palais, j'étais en charge de coiffer mes frères et sœurs. J'étais douée à ça, et même si nous avions à notre disposition un barbier et deux coiffeurs, je tenais à m'en occuper. En particulier Androgée. En repensant à mes doigts glissant dans sa longue chevelure blonde, semblable à celle qu'arbore Dio en ce moment, les souvenirs me submergent et les larmes me montent aux yeux. Je les essuie d'un revers de ma main et me concentre sur Dio. Je lisse ses cheveux, et coupe d'une première mèche.

- Je ne suis pas à ton goût ? me demande-t-il en gardant le visage retourné

- Et toi, est-ce que tu plais ? Dis-moi ce qui te tracasse Dio. On forme un tout, un ensemble. Je sens que tu ne vas pas bien. Je ne me sens pas bien non plus.

Les mèches s'amoncellent à mes pieds alors qu'il garde le silence. Je ravale ma fierté de ne pas avoir réussi à le faire céder, et continue mon œuvre. Au bout de quelques minutes, j'époussète son dos et me place devant lui pour attaquer sa barbe.

- Ça fait un bien fou, tu as raison, me dit-il en tâtant sa chevelure passablement raccourcie.

- On va passer aux choses sérieuses, lui dis-je en étalant la mousse sur sa barbe.

- Tu sais te servir de ça ? Je peux le faire tu sais....

- Tu n'as pas confiance en moi ?

Il opine du chef lentement.

- Très bien, laisse-toi faire.

Dionysos ferme ses yeux et je passe le premier coup de lame. Il reprend une apparence « normale », moins négligée au fur et à mesure de mes assauts répétés sur son menton.

Lorsqu'il ouvre les yeux, j'en profite pour déposer un baiser sur ses lèvres.

- C'était pour quoi ça ?

- Il faut une raison pour embrasser mon compagnon maintenant ?

- J'ignorais que tu volais des baisers. Je découvre des talents insoupçonnés en toi...

- Tu n'as encore rien vu...

Je m'assois à ses côtés et pose la tête sur son épaule. Le temps s'écoule paisiblement, nous ne sommes que tous les deux... et demi. Même si je ne suis pas parvenue à mes fins, je décide de profiter du moment paisiblement. Sa voix rompt soudainement le silence qui s'était installé entre nous. Et ramène de l'insécurité au sein de notre cocon :

- Je vais m'absenter un peu. Tu pourras rester à l'Olympe, tu y seras en sécurité.

- ...

- J'ai des affaires à régler.

Je n'ai rien rajouter, je ne saurais rien de plus. J'aurai aimé l'accompagner dans ses bagages, mais j'imagine que s'il ne m'a rien proposé, c'est que je ne suis pas la bienvenue. Ou que ses « affaires » sont trop importantes. Mon cœur se serre. Il faut que je me fasse une raison, je suis la compagne d'un dieu. Il a décidé de porter certains fardeaux tout seul.


God's crushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant