Dionysos

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Il devient nécessaire de panser et guérir mes blessures afin d'avancer sereinement avec Ariane. Et surtout pour offrir la meilleure version d'un père à mon enfant à naître. Mes problèmes prennent une part trop importante dans ma vie de couple, je n'arrive plus à les dissimuler à ma compagne. Et je déteste lui mentir. « N'omets rien », voilà ce que je lui imposé dès le départ. Telles sont les bases de notre couple, la communication et la sincérité.

Et pendant notre séjour aux Indes, j'ai échoué. Je n'ai rien pu sortir, aucune confidence, aucun sentiment. Je n'ai pas réussi à me livrer à elle comme elle avait pu le faire avec moi.

Mais quel abruti je suis ! Même en lisant la déception dans son regard, je ne suis pas parvenu à m'ouvrir. Elle ne mérite pas ça... Elle m'a contemplé récupéré mes affaires personnelles pour mon voyage, sans dire un mot. J'espère qu'elle a assez confiance en moi pour m'attendre. Je me méfie de la jalousie des femmes, y compris de la sienne, mon expérience m'ayant joué assez de tours comme cela. Mon voyage est intérieur cette fois, mais même ça, je n'ai pu le lui avouer.

J'ai décidé de me tourner vers quelqu'un qui pourrait me comprendre, quelqu'un qui a emprunté le même chemin supplicier que moi. Comme moi, Héraclés – Hercule – est un des nombreux fils illégitimes de Zeus. A la différence qu'Héra a préféré faire d'Hercule la seule victime de sa jalousie, l'adultère de sa mère Alcmène avec Zeus ayant été commise à l'insu d'Héra. Une bonne partie de sa vie a été passée à subir les affres d'Héra.

Je ne suis pas allé bien loin de mon palais. Après avoir reçu l'immortalité de notre père, Hercule a bénéficié d'une résidence secondaire, discrète à l'Olympe, où il s'est remarié avec une sublime déesse, Hébé. Mais surtout, il a accompli ce que j'estime être un exploit : celui de s'être réconcilié avec Héra. Sur ce point, il a largement mérité son statut de Héros.

Je rêverai d'avoir sa force, sa résilience, pour réaliser pareille tâche. Le chemin est encore long, mais c'est en faisant des petits pas qu'on y parvient.

J'ai été accueilli par son épouse qui m'a préparé la chambre d'invité d'honneur. Je souhaitais que ma présence dans ces lieux reste la plus discrète possible, nombreux sont ceux à l'Olympe à avoir la langue bien trop pendue. Je voyais d'avance les gros titres : mon absence au sein de mon propre palais alors qu'Ariane attend notre premier enfant suggérait une grosse dispute, voire même une rupture en vue. Notre intimité ne regardait personne, je ne tenais pas à me justifier, ni à mettre en difficulté Ariane, beaucoup de mauvaises conseillères rodent ici bas.

- Mon frère ! me fait Hercule en me voyant.

J'apprécie son accueil chaleureux, gage d'une retraite spirituelle constructive. Nous nous ressemblons beaucoup plus qu'avec les dieux olympiens, et enchaînons les points communs : on nous dépeint souvent comme des ivrognes, des débauchés, tant nous nous sommes par le passé laissé consumer par nos passions les plus viles. J'ai ouï dire qu'il avait honoré en une nuit les cinquante filles du roi d'Etolie, Thespios. Nous avons tous deux fait acte de bravoure, mais aussi succombé à la convoitise en abusant de femmes, souvent en les faisant boire en ce qui me concerne, et dans des accès de folie, en tuant et dévorant des mortels.

Je suis restée quatre jours chez Hercule, enchaînant les confessions et nos anecdotes d'enfance, avec toujours le même fil conducteur : Héra.

- Comme toi, elle m'a mis à l'épreuve dès ma naissance. Je n'ai pas été sauvé par notre père, mais je suis défendu tout seul...

- Tu as vraiment tué les serpents qu'elle t'a envoyés à main nue dans ton berceau ?

- Elle ne s'y attendait pas la garce ! rit Hercule à gorge déployée.

Quel beau pied de nez, je tuerai pour voir sa tête ce jour-là.

- Tu as vraiment dû te déguiser en fille pour lui échapper ?

- Ça ne fait pas partie de mes meilleurs souvenirs, mais oui. C'est un subterfuge comme un autre. J'ai été élevé un temps dans le quartier des femmes du palais de ma tante Ino. J'en ai appris beaucoup sur la gent féminine, quelque part, elle m'a rendu service. Le problème c'est qu'Héra s'est vengée sur mon oncle et ma tante en les rendant fous.

- Elle rend tout le monde dingue, dans tous les sens du terme, c'est son truc.

Nous avons descendu l'ensemble des bouteilles de vin que j'ai ramené, comme cadeau pour mon hospitalité.

- Tu n'es pas venu ici pour que je te conte mes exploits, n'est-ce pas ? On m'a dit que ta femme est enceinte en plus... Qu'est-ce qui plus est important que de délaisser une femme aimante et un foyer chaleureux ?

J'ai pris mon temps pour répondre à sa question, ses questions insinuaient une lente et amère culpabilité en moi :

- Ce qui m'intéresse le plus chez toi...c'est... comment tu as fait pour lui pardonner ?

Hercule esquisse un large sourire. Il semble apaisé, calme, alors que mon âme est torturée à la moindre évocation de son nom. N'en parlons pas de me retrouver dans la même pièce qu'elle.

- Par respect pour ce que nous avons traversé tous les deux, je vais te révéler mon secret. Il est gratuit, sans contrepartie, je ne suis pas un dieu. Ecoute bien...

J'ai écouté attentivement les conseils d'Hercule, si sages, si philosophiques.

Avant de rejoindre mon doux foyer et me noyer dans les bras d'Ariane, il me restait une dernière étape.  

God's crushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant