Dionysos

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Je ne me suis jamais senti aussi seul depuis qu'Ariane m'a imposé de faire chambre à part. Sa décision me fragilise dans mon égo. M'interloque. Et je sens poindre la déception, la première dispute dans notre couple.

Au fond, je ne sais même pas ce qu'elle me reproche, enfin si, mais cela me semble ridicule. J'ai accepté tout de son passé, son statut de victime. Et lorsque je me suis livré à mon tour, au cours d'un dîner un peu lourd je le conçois, elle m'a tourné le dos. Alors que je suis une victime comme elle.

Oui, comme elle, j'ai eu une enfance chaotique, victime collatérale des agissements et décisions d'adulte, Zeus et Héra en premier plan. Puis j'ai dû faire ce que m'entraînai et me dictai mon statut de dieu. On ne devient pas une divinité olympienne sans renoncer à une partie de son âme, sans sacrifier une part de sa vertu. Seuls les dieux peuvent le comprendre.

Mais cette partie sombre n'est qu'une infime parcelle de mon être. A la première évocation de mes exploits, Ariane s'est offusquée. Et je me demande si elle aura les épaules, la carrure pour devenir ma compagne. Elle se doit d'accepter tout mon être, mes hauts et mes bas, mes défauts comme mes qualités, ma part d'humanité, comme ma part de divin. Je n'ose imaginer ce qu'il en serait si elle était sortie avec un autre dieu de la trempe d'Hadès, ou d'Arès. Si sombre, si chaotique. Elle n'aurait pas tenu une journée en leur compagnie tant leur manière lui aurait déplu, leurs légendes l'aurait dégouté, elle et son éducation aristocratique, elle et ses principes moraux.

Il y a longtemps que j'ai renoncé à tout ça, et que je porte mon fardeau. Ariane a été ma lumière dans mes ténèbres. J'ai cru que je j'avais trouvé ma rédemption. Et maintenant je me pose des questions, du type : si je m'étais trompé ? Et si ce n'était pas elle que j'attendais depuis toutes ces années ? Et si personne ne m'était destiné, aucune femme qui existe pour moi en ce bas monde ? Pas plus qu'à l'Olympe.

J'ai attendu une petite demi-heure qu'elle s'endorme, je sais qu'Ariane a le sommeil facile, même remontée contre moi et je me suis approché du canapé. Je n'ai pas pu m'empêcher de la regarder dormir. Je pourrai passer des nuits blanches à l'observer, si innocente. C'est déjà ce que j'ai fais les premières nuits que nous avons partagé ensemble. Elle ne le sait pas, mais les Dieux dorment très peu ou sur une oreille. Nous vivons dans un nid de vipère.

Je donnerai tout pour effleurer sa peau en ce moment, couvrir son corps de mes baisers ou me réfugier à l'intérieur de son intimité. Coucher avec Ariane me procure une sensation indescriptible, et plus puissante que les pouvoirs que j'ai pu acquérir en tant que Dieu.

Je serre les poings, frustré devant sa position. Je lui ai promis que je ne forcerai jamais et je n'ai qu'une parole. Mon coup de sang n'est qu'un faux pas qui ne doit plus se reproduire. Certains fardeaux sont trop lourds à porter, surtout pour elle, et je dois me débrouiller seul. Je vais être égoïste sur ce coup-là.

Je soupire lourdement. Je ne suis pas du genre à renoncer si facilement. Pas au moindre obstacle. J'en ai connu des plus durs et j'ai toujours su faire face. Et cette fois ci je vais assumer. J'ai foi en Ariane et j'ai envie d'y croire.

Je donnerai cher pour être dans sa tête, savoir à quoi elle pense. Jusqu'à hanter ses rêves les plus fous. Les plus érotiques. Je passe ma langue sur mes lèvres. Je commence à me sentir à l'étroit alors que ce n'est pas le moment, que je n'ai aucune opportunité. Je m'égare, il faut que je me ressaisisse et que je fasse taire ces vilaines envies lubriques qui consument mon esprit dès lors que je pose les yeux sur elle.

Je n'ai aucune chance de sonder ses esprit. Aucune. Vraiment aucune ? Morpheus. Morpheus, le dieu des songes peut m'y aider. J'ajouterai une dette de plus à mon compteur, mais Ariane en vaut la peine.

Il m'a fallu quelques minutes pour atteindre les profondeurs de l'Erèbe, terre de la nuit éternelle, où réside Morpheus. Avec ses frères, les Oneroi, les enfants de deux divinités mineures, Nyx, déesse de la nuit, et Hypnos, le dieu du sommeil, ils sont réputés pour pénétrer le sommeil des mortels, puissants ou petits et y délivrer des messages. Si quelqu'un peut m'aider à regagner la confiance d'Ariane, hormis Aphrodite, c'est bien lui.

Les dieux ne pensent pas de manière « normale », car nous avons à notre disposition des moyens hors norme. La manipulation est notre meilleure arme. De toute façon, je n'ai pas le choix. Je n'ai pas d'autre moyen de la convaincre, car je sais qu'elle ne m'écoutera pas. Elle semble têtue et déterminé. Quand elle a une idée en tête, elle ne l'a pas ailleurs. Son obsession pour Thésée en est la preuve. Elle ne me laisse pas d'autre solution.

C'est l'un des frères, Phobetor qui m'accueille

- Bonsoir, je viens voir Morpheus.

- Et qui le demande ?

Un autre dieu olympien se serait offusqué, mais pas moi. J'ai l'habitude de passer inaperçu, comme un éternel étranger. Cela me rassure presque et me conforte dans l'idée que je ne suis pas comme « eux ».

- Dionysos.

Je ne m'étale pas sur ma généalogie. Même si mon apparence est ordinaire, mon nom l'est moins. Phobetor hausse un sourcil et s'écarte, me laissant pénétrer dans la grotte dans laquelle séjourne les créatures ailées. Sa réputation le précède. Des mille Oneroi, seuls trois sont connus. Il y a Morpheus, le chef, Phantasos, qui a la capacité d'apparaitre dans les rêves sous la forme d'objets inanimés. Puis Icelos, enfin Phobetor, réputé pour apporter les cauchemars aux mortels.

J'ai soudain froid dans cette grotte, ma peau frisonne, rendant cet endroit hostile et contribuant à me faire douter de mes intentions. Puis soudain, surgi de nulle part, Morpheus fait son apparition, presque de nulle part. C'est un jeune homme doté de grandes ailes noires et d'un charisme radiant.

- Dionysos, me dit-il alors que j'avance devant lui.

Je suis reconnu, cela fait plaisir quand même

Que me vaut l'honneur de ta présence ?

- Un service de dieu à dieu.

Morpheus m'entraîne à l'écart, vers le fleuve Styx qui coule à proximité. Je m'en tiens le plus éloigné possible, de peur de trébucher dedans, il a des vertus amnésiques.

- Dis-moi, en quoi puis-je t'être utile ?

- Je voudrais que tu visites une femme puissante, une princesse, et que tu déclenches une fausse prophétie.

- Une femme ? Une fausse prophétie ? Elle est à toi cette femme ?

- Elle est mienne maintenant, c'est officiel. Elle a passé le cap des présentations à l'Olympe.

- Et pourquoi ce jeu de dupe ?

- C'est mon problème, dis-je avec le sourire. Tu peux m'aider ou pas ?

Morpheus se fait mystérieux, et surtout silencieux. Il réfléchit, pèse le pour et le contre.

- Vous vous êtes disputés et tu veux qu'elle te revienne ?

- Encore une fois, dis-je de manière plus ferme et légèrement agacé, c'est mon problème.

- Cette femme, qui que ce soit, semble compter pour toi et te mener la vie dure. Un conseil de dieu à dieu, supporte là. Plus elles sont difficiles, plus elles le méritent. Je refuse d'entrer dans sa tête et de m'immiscer dans votre couple.

Ma mâchoire se resserre. Je n'ai plus aucune option. Morpheus était mon plan A... et mon plan B. Je dois me rendre à l'évidence. Je ne sais pas gérer les bonnes femmes, voilà pourquoi je suis resté si longtemps célibataire.

Allez Dionysos, prends ton mal en patience.

God's crushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant