Haunted

Chapitre 6

Mardi 15 novembre 12h30

— Tu ne peux même pas boire d'eau ? S'exclama Jade, offusquée. Nous nous prélassions dans la cour de l'université face aux derniers rayons de soleil que nous verrions de la saison. Les hivers sont très rudes en Grande-Bretagne, davantage à Manchester.

— Non, mais cette année, nous avons de la chance, le ramadan tombe en hiver et les journées sont plus courtes, lui expliquai-je. Elle enchaîna sur une série de questions qui me firent sourire les unes autant que les autres tant elles étaient comiques de mon point de vue. J'ai eu le droit à "Tu peux manger en cachette ? " "T'as le droit de te doucher ? " Et bien d'autres.

Malgré nos différences, elle s'efforçait de comprendre mon univers et c'était admirable de sa part. Elle consulta sa montre et m'annonça que nous devions rejoindre notre prochain TD de finance, super, c'est justement mon préféré, pensais-je ironiquement.

Nous prîmes la direction des escaliers principaux de la fac qui grouillaient d'étudiants qui mangeaient leur repas sur les marches poussiéreuses ou qui révisaient avant leurs examens.

Nous arrivâmes devant la salle de cours où une masse noire d'étudiants patientait déjà afin de dénicher les meilleures places. Avec Jade, nous avions trouvé une combine, nous pénétrons généralement par la porte du fond ignorée par tous, ainsi nous nous assurions nos places cachées derrière. Durant la séance, le chargé de TD nous rendit les notes du dernier examen. « Catastrophique pour certains », annonça-t-il en rivant son regard dans le fond de la salle. Camouflées aux derniers rangs, nous échangeâmes un fou rire à la vue de nos résultats. Il valait mieux en rire qu'en pleurer, pensais-je.

À la fin du cours, je rejoins Rayem dans un square qui bordait la faculté. Elle n'était pas dans mon université, elle fit le choix d'étudier la décoration intérieure et l'architecture. La voir épanouie et passionnée par ses études me rendait moi-même heureuse. Elle avait fait le choix de ne pas emprunter une voie classique, mais ça lui réussissait à merveille.

Nous discutions pendant des heures sur des sujets aussi banals les uns que les autres, mais c'est le genre de conversation dont je ne me lasserai jamais, car elles me sortent du quotidien et des études lassantes. Elle me racontait les ragots de sa promo essentiellement composée de filles, ses disputes avec son petit frère ou encore ses visites chez sa grand-mère paternelle qu'elle n'affectionne pas particulièrement.

Je sentis mon téléphone vibrer dans ma poche, et j'y lus que la mère de Vlad avait besoin de mes services ce soir exceptionnellement, car elle avait une urgence à l'hôpital. Ne pouvant me résoudre à la laisser dans l'embarras, je lui confirme ma présence. Je salue Rayem et m'engouffre dans la station de métro bondée.

Les rues de Manchester abritaient un froid glacial dû à la nuit qui commençait à tomber. Tous les manuciens eurent la même idée ; se réfugier dans le métro. Je réussis à me frayer un chemin parmi la masse noire de foule et descendis à la station suivante.

Arrivée devant la porte d'entrée de chez moi, j'eus une bouffée de chaleur et une boule se forma au creux de mon estomac. Avais-je accepté trop vite ? Ma mère, n'étant pas de nature patiente, allait sûrement très mal prendre le fait que je ne la prévienne que maintenant que je ne reste pas à la maison ce soir. D'autant plus en cette période de ramadan où elle insistait pour que nous dînions tous ensemble comme une vraie famille.

Hypocrite.

Nous n'étions pas une vraie famille et la comédie ne durera que le temps d'un mois.

À peine entrée, elle me gratifia d'un regard méfiant, comme si elle pouvait lire en moi et deviner que je préparais quelque chose. Elle avait rassemblé ses cheveux blonds qu'elle avait au préalablement colorés dans une queue-de-cheval trop serrée et portait un tablier, signe qu'elle avait dû cuisiner toute l'après-midi et que mon annonce allait d'autant plus l'énerver.