Chapitre 11

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Jeudi 10 janvier 7h55

Je n'avais pas eu de nouvelles d'Haïder depuis cette fameuse soirée qui avait pourtant si bien commencé. Il avait fallu que Nezha vienne tout gâcher avec son appel. Il ne voulait plus de moi ? Que s'était-il passé entre eux cette nuit-là ? Pourquoi n'avais-je plus de nouvelles de lui ? Son silence m'avait clairement refroidi.

— C'est quoi ton numéro de siège ? M'interrogea Jade en me sortant de mes pensées.

Nous patientions devant les salles d'examens depuis maintenant un quart d'heure, nous passions nos derniers partiels de fin de semestre. Partiels pour lesquels nous avions évidemment révisé la veille. Je n'avais pas réussi à me concentrer pour réviser depuis cette soirée, me posant trop de questions qui restent à ce jour sans réponse.

Arrivée à l'intérieur de la salle, la masse noire de monde se bouscula afin de trouver sa place. Jade me cherchait du regard, elle se trouvait trois rangées plus bas. Dès qu'elle me trouva, elle me présenta son pouce en l'air en signe d'encouragement.

Je lui répondis par un clin d'œil. La vérité, c'est que j'étais loin d'être sereine, d'autant plus que mon esprit était pollué par le souvenir du son de sa voix, son visage, sa présence. Au fond de moi, je ne me donnais pas les moyens de réussir, car ce n'était pas ce que je voulais faire de ma vie.

L'examinateur annonça le début de l'épreuve et tous les étudiants se penchèrent sur leur feuille d'un mouvement synchronisé comme une vague qui ondule au milieu de l'océan.

"Comment l'éthique s'inscrit dans la gouvernance des entreprises, et comment se manifeste-t-elle"

Merde.

Un des nombreux chapitres que j'avais décidé de survoler pendant mes "révisions". J'ai passé l'heure à essayer de me remémorer les leçons du peu de cours auquel nous avions assisté. Impossible, les seuls souvenirs qui me revenaient étaient ceux où nous essayions de savoir qui sortait avec qui dans la classe ou même encore ceux où nous faisions nos exercices pour le TD suivant à la place d'écouter celui où nous étions.

Au bout de trente minutes à fixer cette feuille blanche que je n'arriverai manifestement pas à noircir, je m'attèle à annoter quelques notions de cours qui me reviennent vaguement. Je regarde ma feuille dubitative, je décide d'attraper mon sac et de dévaler les marches de l'amphithéâtre sous le regard incompréhensif de mes camarades. Ils devaient sûrement penser que j'étais tellement calé sur le sujet que seulement trente minutes m'ont suffi à plier le devoir.

Que nenni. Si seulement ils savaient.

Je signe la feuille d'émargement et me dirige vers la sortie, tant pis, je me rattraperai au prochain semestre, du moins je l'espère.

Je pris la route du Starbucks* parce que c'était la seule chose qui pouvait sauver ma journée à ce stade. J'avais passé mon dernier partiel du semestre et je méritais amplement une récompense selon moi, même si les résultats ne seraient sans doute pas au rendez-vous, au moins j'en avais fini.

Comme à mon habitude, j'enfonce mes écouteurs et je mis à jouer les chansons du groupe Chase Atlantic. Le temps d'un instant, j'oubliais tout au son des mélodies qui s'enchaînaient.

Arrivée au Starbucks, je décide d'être audacieuse et de ne pas commander ma boisson habituelle. Pourquoi pas, la journée ne pouvait pas être pire et j'aurais peut-être une bonne surprise, qui sait. Je m'avance au comptoir et commande la boisson qui figure à l'affiche des nouveautés, un "Matcha Latte".

La petite salle était bondée de monde qui dégustait des boissons fumantes dont les odeurs sucrées emplirent l'air. Les gens venaient se réfugier pour échapper au froid glacial de Manchester, mais aussi pour s'abreuver de boissons à des prix trop exorbitants pour ce que c'était.

Tu en fais partie, idiote.

C'était vrai, mais pour ma part, c'était un petit plaisir inavouable qui ne se produisait qu'une seule fois par mois.

Une fois ma commande reçue, je me dirige vers la sortie, je cherche un banc à proximité afin d'y déguster ma boisson. Je bus une gorgée que je faillis recracher instantanément. C'était de loin la pire boisson que j'avais bue dans ma vie, on aurait dit un mélange d'herbe, de terre et d'eau.

J'étais dépité, la journée ne faisait qu'aller de déception en déception.

Soudain, je sentis des gouttes d'eau perler sur mes cheveux, je relève la tête pour y découvrir un ciel nuageux aux teintes gris foncé et le début d'une pluie qui n'allait pas s'arrêter de sitôt. Tant pis pour ma balade à pied, je vais prendre le métro.

Je fis face aux grillages fermés de la station de métro, "Station non desservie, travaux sur toute la ligne". J'allais devoir rentrer à pied sous cette pluie qui devenait torrentielle, j'allais sûrement attraper la crève, mais je n'avais aucune autre solution.

Tu peux l'appeler, il viendra te chercher avec sa voiture comme ça, ça te fera une bonne excuse pour le voir, me criait une partie de moi. Je repris directement mes esprits ; certainement parce que je me faisais fouetter par la pluie, il était hors de question que je sois celle qui lui envoi un message.

Un de mes plus gros défauts était ma très grosse fierté. Je savais que cela me porterait préjudice un jour, mais je refusais catégoriquement de lui montrer un quelconque intérêt, surtout après avoir été ignorée pendant tout ce temps.

Je préférais tomber malade plutôt que de demander son aide. J'entreprends ainsi mon expédition pédestre jusque chez moi, bien résignée à garder ma dignité.

En pénétrant dans le hall de mon immeuble, je laisse une traînée d'eau sur mon passage. J'étais trempée et frigorifiée par le froid. J'enfonce les clés dans la porte de chez moi et je crois défaillir quand j'aperçois les valises de ma mère à l'entrée.

Elle était rentrée de son séminaire, j'avais complètement oublié. Elle va se mettre dans une colère noire quand elle va voir mon état. Non pas parce que je risquais de tomber malade, mais parce que risquais d'abîmer son précieux parquet à cause de l'état dans lequel j'étais.

Ça n'y tarde pas, j'entends ses talons claquer sur le sol et quelques secondes plus tard, elle se matérialise devant moi avec un regard hargneux et dégoûté face à ma simple présence.

Elle portait un tailleur pantalon noir qui soulignait sa silhouette fine et ses cheveux étaient coiffés d'un chignon plaqué qui accentuait la sévérité de son visage. À la voir, on comprend mieux son obsession pour mon physique qui, d'après elle, n'égalera jamais le sien.

— Tu ne vois pas que t'es trempée, espèce d'idiote. Hurla-t-elle à pleins poumons.

Elle s'avance vers moi, pose ses mains sur mes deux épaules et me pousse si violemment hors de l'appartement que mon dos vient heurter le mur d'en face. Je retiens un gémissement de douleur, ne voulant pas lui donner satisfaction. Je sens la rage bouillir en moi, mais je demeure impuissante face à elle, car après tout, c'est ma mère. Qu'aurais-je pu faire ?

— Ma maison n'est pas un refuge pour chiens errants, reviens quand tu auras séché, crache-t-elle avec dédain.

Elle claque ensuite la porte, me laissant dans le couloir de l'étage désemparée. Je pris appui sur le mur jaunâtre adjacent et me laisse tomber par terre sur la moquette décrépie. Je reste de longues minutes à fixer le mur face à moi, drainée mentalement.

Je consulte mon téléphone avec un mince espoir qu'il m'ait écrit, mais je n'avais reçu qu'un message de Jade me demandant comment s'était passé le partiel.

Décidément, cette journée figurait parmi le classement des pires journées de ma vie.

* Cette histoire a été écrite bien avant les événements, je ne soutien ni fait la promotion de cette marque, bien au contraire. Free Palestine <3

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