Chapitre 7

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Vendredi 4 décembre 14h26

Assise sur les poufs des cabines d'essayage, j'observe les néons clignotants du magasin et le défilé interminable des clients essayant des habits. Voilà maintenant 2h que Delara m'avait entraîné dans une séance de shopping. Elle m'avait envoyé un message la veille pour que je l'accompagne.

J'ai bien évidemment accepté, j'apprécie de plus en plus sa compagnie. Il nous arrive de nous voir pour faire nos courses ensemble ou encore traîner dans sa chambre à se raconter des potins et regarder des films.

Lors des nombreuses fois où je suis venu chez elle, je n'ai pas eu la gratification de la présence de Haïder. Il révise tout le temps en ce moment d'après elle, qui pourrait lui en vouloir ? Moi, j'ai secrètement toujours espoir de le croiser, mais je finis toujours par être déçue.

— Et celle-là, t'en pense quoi, Ezia, annonça-t-elle théâtralement en me sortant de ma rêverie, elle porte une longue robe en satin vert émeraude à manche longue qui lui va à merveille. Elle cherchait une robe pour sa soirée d'anniversaire qui aura lieu demain chez elle, j'étais évidemment invité. C'était aussi son anniversaire.

— Elle est incroyable, tu devrais la prendre, c'est la bonne ! M'exclamai-je avec enthousiasme. C'était au moins la 20 ème qu'elle essayait, j'espérais secrètement que ça serait aussi la dernière, car j'étais épuisé.

Elle acquiesça pour mon plus grand bonheur et passa en caisse, nous poursuivîmes notre tournée dans les nombreux magasins du Manchester Arndale qui était assez désert pour un vendredi après-midi. J'en ai profité pour prendre un petit cadeau pour Haïder, c'était aussi son anniversaire après tout. Ayant terminé tous les achats qu'elle devait effectuer, nous nous arrêtâmes dans un café, histoire de nous désaltérer, parce que faire les magasins avec Delara, ça revient à courir un marathon.

Nous nous attablons et commandons des boissons rafraîchissantes, un ice latte pour moi et un smoothie pour elle. Le café possède des lumières tamisées qui donnent une ambiance cosy, se mariant parfaitement avec le mobilier en bois qui contraste avec les murs vert sapin. Après avoir pris quelques gorgées de nos breuvages, nous discutons de tout comme à notre habitude :

— Tu vas mettre quoi pour mon anniversaire ? M'interroge-t-elle pleine d'entrain. La vérité était que je n'en avais aucune idée et que je n'étais même pas sûre d'être présente, mais je n'osais pas lui dire de peur de la décevoir.

Après notre accrochage de l'autre soir, ma mère s'est révélée bizarrement distante ; peut-être a-t-elle eu conscience qu'elle était allée trop loin ? Quoi qu'il en soit, je n'osais pas lui demander de peur de perturber le calme qui régnait au sein de mon foyer ces semaines-là.

— Je ne sais pas trop, mais t'inquiètes, je ne te volerais pas la vedette, plaisantai-je en lui faisant un clin d'œil.

Soudain, je reçus un coup de fil de Layan qui me rappela qu'on devait toutes se voir chez elle dans 1 h. N'ayant pas vu le temps passé, je salue hâtivement Delara et j'emprunte d'un pas déterminé les rues de Oldham Street où logeait Layan.

Dès que je franchis la porte d'entrée, j'eus le droit aux regards accusateurs de Layan, Rayem et Kassie à cause de mon retard. Je décide d'aborder un grand sourire afin de me dédouaner et de détendre l'atmosphère, ce qui, à mon grand soulagement, a eu l'effet escompté. Elles étaient toutes allongées sur le grand canapé d'angle marron, à l'image du reste du mobilier, moderne et sobre.

Je prends place sur le canapé à leur côté et remarque la table basse remplie de malbouffe, des chips, des bonbons, des gâteaux et j'en passe. Les fois où nous nous voyons étaient toujours prétexte à s'empiffrer de tout et n'importe quoi. Je me prête également au jeu en piochant une poignée de chips que j'amène allègrement à ma bouche. Layan et Kassie se chamaillent à leurs habitudes pour savoir qui a raison :

— Je sais que c'est toi qui a cassé ma figurine Harry Potter, déclara de nulle part Layan à Kassie.

Nous soufflâmes toutes, agacées et amusées, que Layan remette encore une fois cette histoire sur le tapis. Ça faisait maintenant 2 ans qu'elle était convaincue que Kassie a cassé sa précieuse figurine et ne perdait pas une occasion de le lui rappeler malgré son innocence, prouvée depuis l'incident. Étant une fan incontestée de la saga, Layan connaissait tous les films qu'elle avait d'ailleurs déjà visionnés plus d'une dizaine de fois. Ainsi elle tenait à cette figurine comme à la prunelle des ses yeux.

Nous pouffons toutes de rire sauf Layan qui boude comme toujours, ce qui provoque encore plus notre hilarité. Je pince Kassie pour qu'elle s'arrête, mais nous repartons en fou rire de plus belle, impossible de rester sérieuse quand je croise son regard dans n'importe quelle situation. Ça nous portera d'ailleurs préjudice un jour.

Après s'être calmés, nous nous concentrons sur la télévision et nous entamons des discussions animées pour déterminer celle qui méritait de gagner l'émission de mode que nous regardions. Durant nos conversations, je surpris leurs regards dévier sur la fine cicatrice qu'a laissé le dernier différend que j'eus avec ma mère.

Elles ne sont pas dupes, je suis consciente qu'elles se doutent que quelque chose ne va pas depuis toutes ces années. Mais nous n'avons jamais abordé le sujet, je n'ai jamais abordé le sujet.

Je n'étais pas assez courageuse pour tout raconter à mes amies. Ce que je ne voulais surtout pas, c'était leur pitié et que leur regard sur moi change. De plus, c'était une charge qui m'incombait d'assumer seule, je ne souhaitais pas devenir un fardeau à leurs yeux. Cette peur d'être une charge pour quiconque remonte au décès de mon grand-père, un événement qui fera prendre une tournure majeure à mon existence.

C'est une période assez floue dont je ne me rappelle pas ou du moins dont je ne veux pas me rappeler. Avant cette tragédie, je garde le souvenir d'une mère aimante, mais quand c'est arrivé, elle s'est mise à prendre des anxiolytiques, à passer ses journées à dormir et à être sujette à des sauts d'humeurs.

Son décès l'a aussi bien affecté elle que notre foyer. Depuis, je suis livré à moi-même et ne quémande plus l'aide de personne. Je me rappelle des après-midi passées chez les voisins, car ma mère oubliait de venir me chercher à l'école, d'autres fois elle ne m'ouvrait pas la porte, assommée par les médicaments.

Je repense à cette phrase d'Haïder "T'as du courage" mais la réalité est que je n'en ai jamais eu le choix, j'ai été contrainte de me débrouiller seule et de gérer mes peines et mes angoisses seule, j'étais devenue ma propre mère.

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