Départ

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  Je quitte l'hôpital pour enfants où j’ anime des ateliers d’ écriture. Ces enfants me touchent profondément.
Ils s’ investissent dans les mots, cherchent les phrases justes. Il ne s’ agit pas d'orthographe ou de style.
Au travers du conte, ils peuvent évoquer leurs problèmes. J’ ai parfois gardé contact avec certains. En particulier avec Joshua, surdoué, musicien extraordinaire, il se cloître dans sa chambre depuis trois ans.

Demain, je dois partir en voyage. J’ ai un étrange pressentiment, une peur diffuse sans raison logique.
J’ ai envie de voir mes amis avant de partir.

Je passe chez les Gauthier.  Joshua ne sort plus de sa chambre,  ne parle plus ; avec ses parents, je suis son seul contact.
Je frappe un code sur sa porte pour lui annoncer ma venue.
Je glisse un papier sous sa porte. L’ image de mon périple en Australie. Il ne lit plus.

Je lui raconte mon nouveau projet de livre. Une histoire de colons hollandais au dix septième siècle. Je vais parcourir leur chemin, m’ immerger dans les paysages , les cultures, l’ ambiance.

C’ est pour cela que j’ ai rencontré Alfred, dans un bistrot de moyenne montagne. Odeur d’ anis, de vin chaud. La première neige invitait à paresser. Ce petit homme impecable dans ses bleus de travail bien repasser m’ avait écouté, puis conseillé. Je l’ avais suivi dans sa ferme presque en haut du col.
Une ancienne ferme fortifiée.
J’ ai le souvenir mémorable d’ un barbecue entre mes amis et les siens. Deux mondes se réunissaient, se découvraient.
Les hauts murs d’ enceinte, le grand portail ont inspiré mon premier roman historique.

Un perron de pierre précède une lourde porte . D’ abord prieuré dédié au sauvetage des voyageurs imprudents pris dans les tempêtes, la maison principale a fière allure.
Une bâtisse  de grosses pierres, quatre fenêtres de part et d’ autre de la porte. Un étage symétrique. Une entrée sert de sas , bien nécessaire en hiver, avec les pièces à vivre. A l'arrière, un amoncellement de granges, de maisonnettes, construites au fur et à mesure des besoins, en enfilade. Un long couloir longe le tout, permettant de traverser à l’ abri, lors des intempéries.

J’y ai imaginé l’ histoire d’ un homme imbu de lui-même, découvrant l'humilité et l’ amour dans un huis clos causé par une énorme tempête.

Il y vit seul,  je n’ ai pas trop compris la raison de la mort de sa femme et de ses enfants , de ce qu’il appelle la maladie de la vallée. Un truc génétique.  Il doit approcher les quatre vingt ans.
On se raconte les derniers potins, les matchs de rugby de son voisin. On se remémore ce barbecue, où le dit  jeune voisin, Nathan , à la suite d’un pari idiot,  un peu eméché avait soulevé et porter mon ami de jeunesse, la Grande Catherine autour du jardin , en courant . Iel hurlait de fausse peur. Le jeune homme a rejoint les rangs de mon clan.

Avant de rentrer, je passe au Gai rire.
J’ attrape au vol la Grande Catherine qui part je ne sais où pour une de ses représentations. Iel donne le tournis, jamais où on l’ attend, toujours en mouvement sur des chaussures à plateformes vertigineuses.
Nous nous sommes rencontrés à la sortie de l’ adolescence. On écumait ensemble les lieux gays parisiens. On connaissait chaque sauna, chaque backroom. Un vent de liberté soufflait sur la capitale fin des années 70.
Il m’ a soutenu dans mes épreuves, moi dans les siennes. Nous avons porté en terre nos amours, nos amis.
Nous lisions Gaypieds, on manifestait.
Il m’ a suivi,  lorsque après le torrent des découvertes, des engagements, la quarantaine c’ est fait plus tranquille, plus apaisé.
Acteur et cabotin dans l'âme, il a réussi l' impensable. Créer dans cette petite vallée perdu un , comment pourrais-je dire… une boite gay?  Gay friendly ? Cabaret ? Drags queen, la nuit, chanteurs locaux, prestidigitateurs le jour ; qu’il prête pour les fêtes d'écoles, les kermesses . Il adore la magie. 
Il a divisé un immense entrepôt en plusieurs espaces.
Au rez de chaussée, un coin jeune  comme il dit ; à l'étage  les boomers. Plus calme sauf quand ils se déchainent sur Abba , Donna Summer ou bien hurlent toucher le cul au voisin sur le navet mondial des Chocolat’s…
A l’ avant un café chaleureux où boire son vin chaud en hiver, ses bières bien fraîches en été, héritage de ses origines belges.

T'es qui toi?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant