Le train nous emmène loin de chez moi, de ma rue, de mes amis. On dévalait la rue en pente à la Croix Rousse, dans le bruit des derniers métiers à tisser, j' aimais trotter dans les traboules derrière ma mère pressée.
Tout cela est terminé. A cause de lui.
J' ai de la colère, Roulé en boule dans le compartiment de 2de classe, il reste muet. Je déteste quand il est comme ça.
Un vieil homme bourru nous prend en charge à la gare.
Je lève les yeux. Je tombe en amour.
La montagne, majestueuse, se dresse, bleuté dans l' air frais de ce matin de juin.
Une grande ombre noire nous fait parcourir un immense couloir lumineux. Les grandes fenêtres donnent sur le jardin de buis et de simples du couvent.
Je n'aurai pas le droit d'y aller.
-Monsieur de….,gronde l'homme, toujours en retard, dépêchez vous.
Un petit brun de mon âge dévale des escaliers de bois , saute les deux dernières marches, file le long du couloir après m' avoir adressé un grand sourire.
Soupir du frère Antoine.Le travail sera simple mais prenant
Tenir tous les jours la porterie, passage obligé des parents, enfants, des rares professeurs laïques, fournisseurs, quémandeurs.
Elle sait utiliser un téléphone ? Non.
Je regarde ce truc bizarre, noir, massif avec un cadran et un court manche à deux boules, avec un fil tout entortillé.
Elle s'en servira souvent.
Elle sonnera la cloche pour appeler.
Voilà la feuille avec les codes.
Un coup pour le directeur, deux coups pour l' intendant…je me perds dans ma curiosité.
Ah, jeune homme, c'est le parloir.
Ici les pensionnaires viennent rencontrer leurs visiteurs.
Quatre meubles étranges luisent doucement dans la pénombre.
Vous avez déjà vu un piano? Non?
Il lève un couvercle, fait courir ses doigts sur des touches blanches et noires, je les fixe émerveiller. Je chantonne ce qu'il vient de jouer.
Étonné, il joue un air plus compliqué.
Répète. Oui.
Mais votre fils a l'oreille absolue !!! Vous le saviez? Non.
Je vais voir avec le Père Supérieur . Vous seriez d' accord pour qu'il apprenne ?
Mon cœur bondit de joie.
Je viens de rentrer dans un monde d'hommes austères, dans lequel deux femmes apportent une touche de sourires.
Ma mère et son éternelle gentillesse.
La bienveillante sœur Marie-Joseph qui s'occupe des petits dans leur dortoir, à la cantine.
Mon père,ce pauvre homme, pourra un peu aider au jardin. après la fermeture.
Après 17 h 30, à la fermeture de la porterie, ma mère pourra , en tant qu'ancienne institutrice, donner des cours particuliers.Ici aussi, il y a des cancres.
Le logement plaît à ma mère. Deux chambres, un séjour, une grande cuisine.
Les meubles sont simples, sombres, ma mère y mettra très vite de la couleur.
Mon père s'effondre dans un coin en se balançant.
Pauvre homme, la guerre en a abimé tellement! L' air de la montagne va lui faire du bien.
Il part dans un envol de plis noir.
Je n' avais jamais vu d'hommes en robe!Ma mère me réveille.
Très tôt, trop tôt.
Tu dois aller à la messe du matin.
La messe? C'est quoi? Je verrai bien.
Dehors il ne fait pas encore jour.
On traverse une grande cour. Ma mère me laisse devant une grande porte. Au-delà des murs, la montagne se découpe dans le ciel indigo.
Un ciel peut être indigo?
Je reste bouche bée.
Tu trouves ça beau aussi?
Vite ,on est en retard.
Le brun me prend la main, on bondit dans l' église .
Je suis surpris par les ors, les parfums d'encens, les chants. Je viens de rencontrer la sensation du sacré.
Avec celui qui sera à tout jamais dans mon cœur.Octobre, la rentrée.
Grandes activités pour ma mère.
Les malles et les valises s'entassent dans la porterie, les amis se retrouvent.
Les parents se saluent.
J' attend mon brun.
On a eu 5 ans cet été.
J' ai tant de choses à raconter.
Les cours de pianos, les excursions dans la montagne, la drôle de sensation de courir dans l' école vide..
Les nuées de papillons oranges et noir.
Je saisis son regard aux pupilles noires avec une petite tâche plus claire à droite.
Il marche entre deux vieillards rigides sous leurs chapeaux sombres.On est heureux.
La soeur Marie-Joseph nous donne le goûter. Du pain et un verre de lait.
Il y a quoi dans sa boîte à goûter. Des confitures de pruneaux , de coings.
Moi j' ai une barre de chocolat
On partage? On partage.Vite , on est encore en retard.
Cours, dépêche toi.
Comment tu fais pour toujours être en retard!!!!
Messieurs, la cloche a sonné depuis longtemps.
A cause de ses éternels retards, on court dans les couloirs, les escaliers, nos sacs battant les mollets.
La première neige de novembre vient de tomber. Elle ne tiendra pas. Elle scintille sous la pleine lune. Je n'ose pas marcher dans toute cette blancheur.
Une boule glacée s'écrase sur mon visage.
Tu n'as jamais vu la neige? Non. Vite on est en retard.
Maman, il fait très froid dans l' église. On grelotte tous.
Tiens, elle me donne quatre galets qu'elle sort du four de la cuisinière à bois. Deux pour les mains, deux pour les poches, pour que mon petit oiseau ne se gèle pas. Le copain? Je lui en prépare pour demain.
Je glisse un galet dans une poche, l' autre dans une main. On partage tout.
On rentre au collège .
Messieurs en retard comme toujours, vous viendrez me voir à la récréation.
Oui, frère Antoine.Notre vie est réglée par le tintement des cloches.
Dis, j' ai entendu un truc dans le dortoir.
Paraît que Paul et Jacques se touchent le zizi.
Hoquet de stupéfaction!
Ils se cachent dans le grenier de la tourelle. Je sais où c'est.
Re stupéfaction, Paul et Jacques frottent le zizi l'un de l' autre. Ils font Mmmmmm , comme s'ils mangeaient les choux à la crème du dimanche.On essaye ? Oui. Mmmmm…meilleur que les choux à la crème.
Dit, j' ai trouvé un drôle de livre dans sous la statue de la Vierge.
Montre. Apollinaire, Les cent milles verges ? Ouh là là !!!!
Tu crois qu'on peut faire tout ça ?
Si c'est écrit ce doit être possible.
N'oublie pas de remettre le livre sous la statue.
Ça doit faire mal.
Quand j' ai de la fièvre, ma mère met de la vaseline sur le thermomètre.
Nanny aussi.
Frère Antoine, je peux aller à l'infirmerie?
Hop, le pot de vaseline dans la poche.On essaye?
Après la messe?
Oui.
Il y a des choux à la crème au dessert.On se promet l' éternité des adolescent.
Tu seras mon Homme pour toujours?
Oui, et toi, tu seras mon Homme pour toujours?
Oui.Le Père Supérieur tonne en agitant "le" livre devant l' assemblée des élèves, des frères, des employés laïques et des parents.
Il veut des noms .
Mon père me serre la main.Il part, j' aurai voulu l'embrasser.
Il se retourne.
Me fait un signe de la main.
Je ne le reverrai plus .Septembre, la rentrée en seconde, je l' attend.
Novembre, je ne l'attends plus.
Je plonge dans les livres, j' étudie comme un forcené pour oublier.
Monsieur, vous ne courez plus dans les escaliers?
Non Père Antoine.
Mme Marin, en deux mois, seul, votre fils à fait le programme de première.
On pourrait le présenter au premier baccalauréat.
Il a aussi terminé le programme de terminale.
Ce serait une gloire pour notre école si un candidat aussi jeune réussissait son bachot avec mention.
Le Père Antoine m' aide pendant les heures d'études, mets tout en place pour ma reussite. Dès que je peux, je joue du piano.
Il est monté en grade. Directeur du secondaireJ' ai la mention très bien.
Le père Antoine a de la famille à Paris.
Ils ont une chambre de bonne à louer.J'irai à l'université.
Il rentre comme un fou dans la chambre, il s'empare de ma tablette, cherche frénétiquement.
Il me montre des images de rue , les mains tremblantes, les yeux avides.Je reconnais le rond point, je lui indique la maison, le portail.
Il grossit l'image.
Murmure le truc de la rue, le numéro.
Il se lève.
Monsieur de….. Arrêtez donc de courir dans les couloirs! Oui m'dame.J' attends, je l' attends depuis si longtemps.
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T'es qui toi?
RomantizmJean-Michel, jeune retraité sportif, se retrouve hospitalisé à la suite d'un accident de vélo. En plein mois de Juillet, il va devoir partager sa chambre avec un inconnu aphasique à la suite d'un AVC. Comment échanger au delà des mots ? Ces deux là...