Épuisé au delà du pensable.J' ai l'impression de ne plus rien diriger de ma vie.
Même mon père et ma mère n'ont pas voulu de moi.
J' ai de la colère, une colère de fond, permanente.
Quand il m'appelle, je le regarde une seconde.
Je sais que c'est lui qui m'a empêché de faire le dernier pas.
Égoïste. Égoïste. ÉGOÏSTE.
Tu vas repartir dans la vie, avec tes tornades , ton sport.
Moi, je vais rester dans mon cercueil. Seul. Immobile.
J' ai de la colère. Violente. Je voudrais lui mettre mon poings en pleine face.
Quelqu'un entre, se présente comme mon docteur de famille.
Je ne le connait pas. Pour ce que je le vois.
J' ai de la colère, tout ces soignants qui me parlent depuis mon côté droit, mon côté mort.
Brusquement , il entre dans mon champ de vision, à gauche.
Il s' assoit ,m'observe en faisant tourner une bague d' anxiété sur sa main droite.
Il a de longs doigts de pianiste, fins, souples, il les tord autour de la bague qui tourne de plus en plus vite.J' aurai pû conserver ce détail pour un roman.
Bonjour Monsieur l' Inconnu de la gare.
Puis je vous ausculter?
Depuis quand on me demande mon avis ici?
Il prend ma main valide, qui dépasse de mon plâtre.
Je me raidis. C'est le premier geste tendre que je reçois d'un soignant.Il commence à retirer sa main.
Non. Je resserre mes doigts.Excusez moi, j' aurai dû vous demander votre accord.
Stupéfaction.
Ses grands yeux verts restent fixé sur moi, il me scanne rapidement.
Son pouce gauche fait tourner une autre bague d' anxiété à son annulaire gauche, moins usée, décoré d'une tête de petit caniche.- Vous avez eu un malaise important hier, une violente chute de tension dû à une position assise trop longue et trop inconfortable.
Cela ne laissera pas de séquelles.
Par contre vous devez être épuisé.
Ce doit être si difficile de ne pas pouvoir bouger, de ne pas pouvoir parler.
Je serre ces doigts.
Je sens la bague, instinctivement, je la fais tourner, il déplace sa main pour rendre mon geste plus facile.
Ça me fait du bien. Je décide d'un geste, d'un mouvement.Quelque chose se dégèle sous mon estomac, creuse un trou.
Quand j' arrête de tourner la bague, il me prévient :
- Je vais lâcher votre main.
Vous êtes ok pour que je regarde votre jambe droite? Je vais devoir soulever votre drap.D'où il vient cet ovni?
Il me pose des questions sur mes ressentis, je pense qu'il bouge ma jambe.
Il reviens vers mon bras. Se rassit.Éclat de rire intérieur: chaque pouce fait tourner l' anneau correspondant, à toute vitesse.
Je vais toucher votre visage.
Ses longs doigts en coupe palpe avec délicatesse le contour de ma bouche, comparé les deux côtés . Il sort une petite lampe de son pantalon de cuir ultra serré.
Il la dirige vers mes yeux, très vite, à droite, à gauche.
Il reprend ma main.Avez vous vu un ophtalmo ?
Je laisse ma main molle.Je vais donc demander un rdv rapidement.
Vous semblez sensible à la lumière.
Si ça ne gêne pas trop votre voisin , on pourrait baisser les stores, j' ajoute un collyre, je préviens l'équipe pour qu'elle n' allume pas les lumières au dessus de votre lit.
VOUS LISEZ
T'es qui toi?
RomansaJean-Michel, jeune retraité sportif, se retrouve hospitalisé à la suite d'un accident de vélo. En plein mois de Juillet, il va devoir partager sa chambre avec un inconnu aphasique à la suite d'un AVC. Comment échanger au delà des mots ? Ces deux là...