T'es qui toi?

Prendre rendez-vous

Nous avons pris notre rythme de croisière.

Je vais à l'hôpital les mardis, mercredis, jeudis.
Il en profite pour vivre sa vie.
Il a accompagné une classe d' automne , en refuge, pendant une semaine.
Il m'a manqué, avec toutefois cette certitude du retour.

J' ai eu un pincement au cœur en voyant disparaître sa voiture.
J' ai reçu au moins quatre SMS sur son trajet.
Nos petits bonjours du matin.
Les bonnes nuits.

Rien de bien extraordinaire.
Nous avons besoin d' apprendre l'ordinaire ensemble.

Nos nuits paisibles précédent des jours tout aussi paisibles.

Se prendre dans les bras, faire attention au bien être de l' autre.
Un peu trop parfois, dès que je le vois un chiffon à la main, je crains une nouvelle crise psychotique.
Il m' empêche parfois d'être autonome en faisant les choses à ma place.

Je parle de mieux en mieux, je bafouille encore trop souvent.
Il va toujours à ses réunions à l' association. Je ne veux pas savoir ce qui se raconte.
Les jeunes de son groupe font parfois irruption dans notre vie, une volée de moineaux, de plus en plus joyeux.
Eux aussi semblent aller mieux.
Il ne réalise pas à quel point il les soutient.
Il fait progressivement son nid chez moi. Un vrai coucou. J' ai vu arriver une cantine vert foncé, puis une deuxième. Quelques photos. Quelques vêtements. Ses skis.
C'est un homme frugal, qui se contente de peu, un rien le rend heureux.
Il aide au jardin, fier d'une caisse de pommes ramassée au petit matin.
L'hiver s'installe petit à petit.
L' après-midi, il casse le bois pour allumer la cuisinière du lendemain matin.
Il a découvert un vieux livre de cuisine, je ne sais où, il prend goût à la préparation des repas, même si choisir un plat reste compliqué.

Le rituel du soir est immuable, il m' aide pour la douche, les crèmes, mes rituels de beauté.
Il m' emmène à mes rendez vous chez l' esthéticienne, la manucure.
J' ai retrouvé un corps imberbe.
Curieusement, si je n' aime pas les poils chez moi, j' apprécie sa pilosité sombre qui se mouchette de blanc.

Nous n' avons pas osé renouveler notre désastreuse expérience de sexe.
Il aligne ses quatres galets, m'embrasse sur le front, il m' aide à me caler dans ses bras, on s' endort.

Dandy
Oui
Tu sais, la proposition du toubib…

Il lance un pavé dans notre mare tranquille.

Laquelle ?
Tu sais bien, hum…hum….
……
Je sais bien quoi?
……
Hum….hum …..pour tes problèmes….
J' en ai plein,  de problèmes.
J' aimerai bien….j' aimerai bien….
Il aimerait quoi? Faire l' amour avec moi.
Là, il n'ose pas. Mais il voudrait.
On verra plus tard? On est bien comme ça ? Non? On verra plus tard.

Le problème semble évident.
Il bande le matin contre moi, sous la douche, quand il me porte au lit en riant. Moi pas. Rien.
Je n' ai même pas cette envie.
Les câlins me suffisent.

Il fait frisquet ce matin. Je vais dans le dressing chercher un pull, je l' entend bouger dans la chambre.
Il se branle, mon oreiller serré sur la poitrine. Il est magnifique quand sa tête bascule en arrière.
Il finit en jetant l' oreiller, en lui donnant un coup de poing.
Il se relève, fait le lit au carré, plie soigneusement la serviette dans laquelle il a jouit.
Il réprime son envie de ranger mes livres.

Je ronronne avec mes chats, nos séances de piano, dans ce quotidien confortable.
Je le vois s'éteindre, un peu.
Il me touche un peu moins.

Je viens de me faire engueuler par la Grande.

Tu veux qu'il aille voir ailleurs,  ton chéri ?
Ce serait une solution.
Quoi? Tu n' as que 61 ans.
J' ai toujours eu une sexualité active, joueuse. La pièce rouge tout en bas le prouve. Il doit y avoir une belle couche de poussière.
Il a toujours eu de grand moments sans sexe, les prostitués lui convenait bien, il n' a qu'à continuer.

La Grande bondit, littéralement.

Je suis un salaud ou bien???
Je me venge de ses années sans lui?
Ça m'interpelle.
Il fait tout pour s' accepter, il a déjà fait un début de coming out avec ses amis, et moi je lui propose une sexualité de bébé, même pas de touche pipi ensemble!!!!

Il t'a dit quoi ce médecin?
On peut perdre sa libido , une forme de dépression avec la maladie, la perte d' autonomie.
Pour les érections?  Comme pour la vessie, les intestins, le côté droit, la parole, le cerveau ne reconnaît plus, ne sait plus faire fonctionner.
Si le reste se remet en route, pourquoi pas pour mon pénis?
Je ne sais pas .

Même Simon s'y colle, lors d'une consultation de routine.
Mon Homme patiente dans la salle d' attente, si sa présence ne me gêne pas, il pense que mes consultations ne regardent que moi.

Tout va mieux, super de me voir commencer à marcher sans canne, la lecture, l' écriture, il faut laisser faire le temps. Et côté libido? Érection? Ça marche comment ???
GRRRRRREEEE.
On peut tenter de remettre ça en route….
Il reste en silence , tourne ses bagues.
Tiens, il en a de nouveau deux .
Je n'aime pas. Lorsqu'il fait ça, je sais que son cerveau mouline à fond, qu'il va me sortir un truc pas très agréable dans une gentille phrase.

Vous avez peur de l' échec?
Vous avez peur de comparer votre présent avec votre sexualité d' adolescent ?
Vous voulez le punir d' avoir disparu de votre vie? De vous avoir abandonné?

Pour les phrases gentilles, je repasserai un autre jour!

Je quitte son cabinet en bougonnant, mon Homme ne comprend pas.
Il conduit ma petite MG bleu, sa main brune passe les vitesses en douceur, il est plus brutal avec sa voiture.

Et si Simon avait raison? Et si la
Grande avait raison?

J' ai besoin d'être seul.

Il va au marché.
Pardon?
Ben oui, quoi, le marché, l' endroit où…hum…hum…tu sais bien…il a besoin d'ingrédients pour une recette…hum..hum…
Un panier dans une main, l' autre gratte son crâne.
Il est où l' homme qui mangeait ce qu'on lui mettait dans l'assiette sans réfléchir.

Je descends dans la chambre rouge, avec précaution, l' escalier est un peu raide.

J' ai eu mon fantasme BDSM il y a quelques années , pas vraiment mon truc au final.
Cette chambre ressemble davantage à un boudoir, un cocon , un endroit hors du monde.
Je m' assois dans le grand fauteuil Emmanuelle, grand rêve de tous les ados dans les années 70.

J' imagine mon Homme ici. Je caresse le cuir d'une table style gynéco, je le rêve, cuisses écartées, offert …
Oh!  Debleu…. J' ai un début d'érection.
Pas extraordinaire, un début tout de même.
On en était là, à 14 ans et demi.
Il devait être à moi.
Ce devait être lui.
Le premier homme dans lequel je voulais m' enfoncer, jouir, faire jouir.

Je pense que les amis ont raison.
Je lui en veux.

Dis…
Oui???
Il range méticuleusement les légumes, les épices , les fruits, la viande, du poisson, de la farine, un sucre bizarre, des sachets …

Il lave tout, essuie, re lave, re essuie.

Oups, ça va pas fort.

Oui???
Tu as le numéro de l' interne de l' hôpital ?
Il se fige.
Pourquoi faire? Prendre rendez-vous, bêta.

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