Je suis seul, je tourne un peu en rond.
Sa journée toujours bien remplie par toutes ses séances de rééducation, je ne le reverrai pas avant le repas.
L'ash me tend un petit papier plier qu'elle vient de trouver sur un coin de table.Pour JMFS.
Téléphonez moi.
Simon.Bien son style.
Il me parle d' association, de psychologues, de difficultés à s' accepter , il a pris un rdv pour moi, demain.
Bien sûr je suis libre d'y aller ou pas.
Il me suffira d'appeler si je choisis de ne pas honorer ce rdv.
J'ai besoin d'un temps de réflexion.
Bien sûr, il comprend, je ne dois pas tarder.Je cherche mon collègue de course d'escalade , il est parti.
Je tourne et retourne l' adresse.
Mon estomac se retourne.
La seule fois où un psy a abordé mon homosexualité, j' avais 15ans . Cela a détruit ma vie.Repas spécial ! claironne une dame en blouse rose.
Hier, Nanny a vidé sa glacière dans le frigo de la petite cuisine du service.
Au menu:
Petite salade de tomates du jardin au basilic.
Terrine de saumon et ses petits légumes
Blanc manger.
Eau avec son citron de Menton.Des gelées colorées. Du rouge, du rose et vert tendre, du blanc , du jaune pâle.
Je fais confiance à la cuisinière.
Nanny et Mère sont bien incapable de faire cuire un simple oeuf dur.
Ce doit être délicieux.Il regarde, un peu méfiant, après les déconvenues des autres repas.
Il soupire ,entrouvre la bouche.-Mmmmmmm….
Il ferme les yeux, savoure.
Les réouvre, il sourit.
Je continue de poser sur sa langue, cuillère après cuillère ,les savantes mixtures.
Il hume , sourit pour lui tout seul.
Un sourire du dedans, un peu mystérieux.
J' entrevois ,sur ce visage encore un peu déformé, les prémices du plaisir.Mon Homme me surprend toujours, et encore.
Il vient de passer des épreuves difficiles, les séances sont épuisantes, il pourrait déprimer, grincer, gémir.
Il savoure des gelées, les yeux mi-clos, les narines frémissantes.Il me donne du courage.
Je marche de long en large devant la porte de l' association.
Un long moment avant de franchir la porte.
Comme dans une situation de danger, je repère les issues, le décor, le grand drapeau arc-en -ciel accroché au mur.
Je dois un peu attendre.
La porte s'ouvre, se ferme, laissant passer son lot de personnes de tous âges, de toutes apparences.
Mon cœur bat. Ban ban ban.J' ai peur.
L'homme est jeune, un look ordinaire d'homme ordinaire.
Pourquoi je suis là ?
Bonne question.
Parce que le docteur Simon Firmin a pris rdv pour moi?
Je commence à raconter.
La clinique, les hallucinations, les chocs, le conditionnement au dégoût, les flash-back, mes crises de violence.
Je vomis dans sa poubelle.Il me répond en silence.
Pas besoin de mots pour comprendre qu'il me comprend.Je reviendrai demain.
Il doit vérifier.Ce soir, mon Homme semble bien fatigué.
Je l'installe confortablement dans son lit.
Je sais qu'il ne pourra plus bouger de la nuit.
Pas de lit d' appoint.
La chambre d'hôtel me rappelle tant d'autres chambres d' hôtel.
Impersonnelle.Le psy me parle de l'hôpital de Rouffach, de LSD, de Mescaline.
Je ne suis pas fou.
Mes crises sont la conséquences des mauvais traitements que j' ai subit,
Traitement déjà interdit lorsque je les ai subi.Comment j' ai vécu ma sexualité ?
Des prostitués.
Oui monsieur le jeune psy, je n'ai eu que des rapports sexuels avec des prostitués.
Bien sûr, j' ai eu envie d'autres hommes, mais dès que je m' approche d'eux, je ne peux pas, je me dégoûte.
Il me parle d'homophobie intériorisée.
D'un processus d' acceptation.Pourquoi je suis là ?
Dandy, son AVC, son courage, mon désir, mon dégoût, son regard si triste quand je lui dit que je ne suis pas gay.La cloche du collège qui sonne dans ma tête.
Quelle cloche????
Quand je vois Dandy, j' entends la cloche du collège, j' entends courir mon amour adolescent dans les escaliers.
Tiens, je cours aussi dans les escaliers de l'hôpital. A rendre dingue les infirmières comme on rendait dingues les curés.Je reviendrai, un autre jour.
Mon Homme est déjà dans son lit.
Il prononce plusieurs sons, il a désormais une tablette pleine d'images, de photos.
Ses doigts , ses jambes commencent à bouger.Je suis convoqué par l'orthophoniste.
Elle m'a expliqué l' aphasie, l'incapacité à parler mais aussi à lire, écrire, certains concepts que le cerveau ne comprend pas.
Pour lui ce sont les noms propres.
Il ne comprend plus la notion de prénom, de nom de famille, de rue, de ville ,de pays.
Il a trouvé une parade, apparemment il surnomme les gens de son entourage avec des caractéristiques.
Non, elle ne connaît pas les surnoms, il ne peut ni écrire, ni lire.
Il parle avec des images.
Cela prend du temps, il doit chercher des similitudes, des astuces pour contourner ce handicap.Il me regarde avec tant d' amour, de compassion?
Je range ses affaires, je nettoie sa salle de bain, son lit, tout ce qui doit être nettoyé.Je lui raconte mon premier amour.
Les séances chez le psy quelconque, l'arrivée à la clinique. Je ne peux pas aller plus loin.Je suis invité à partager avec un groupe.
Tous plus jeunes que moi, des hommes, des femmes. Avec leurs lots d'horreurs.
Je vomis dans la poubelle.
Ils me tapotent le dos, essuient une larme.Je range sa chambre, je nettoie.
Il ne faut pas qu'il soit contaminé.Vous l' aimez?
Si je l' aime? Je ne sais pas .
Je sais que si je ne devais plus le voir, mon cœur éclatera en milliers de morceaux.
C'est ça aimer?Il est si fier!!!! Il me montre ses images.
Les dentelles du docteur.
Je crois qu'il l' appelle le Mignon Docteur.Et moi, comment il m' appelle?
Mon Homme, il m'a appelé mon Homme.Lui, comment il s'appelle ?
Une pile de livres?
Je ne comprends pas.Les jours passent , hors du temps.
On nous a retiré nos plâtres.
Quel bonheur de marcher sans entraves.
Il apprend à utiliser sa main gauche.Il est mécontent.
Il me montre la porte.
Une image de pied aux fesses qui chasse un petit bonhomme.
Un vélo.
Un vélo?
Il veut que je fasse du vélo ?Je lui ai promis de ne plus le quitter.
Il râle.
Il caresse mon visage.
Il m'offre une bague d' anxiété, avec un joli soleil .Je crois que je l' aime.
💐💐💐💐💐💐
Ils sont venus me raconter la suite de l'histoire
Je ne pouvais pas ne pas la partager.
VOUS LISEZ
T'es qui toi?
RomanceJean-Michel, jeune retraité sportif, se retrouve hospitalisé à la suite d'un accident de vélo. En plein mois de Juillet, il va devoir partager sa chambre avec un inconnu aphasique à la suite d'un AVC. Comment échanger au delà des mots ? Ces deux là...