Nanny Adrienne

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  Je me lève avec précaution, en suivant les consignes du kiné.

  J' ai compris que je devais me mettre dans son champ de vision, lui demander la permission avant de le toucher, lui parler doucement.

Je vais essuyer ton visage, tu veux bien? ça va aller, ne pleure plus.

De la colère dans ses yeux.
Je me penche vers lui avec mes mouchoirs, la bouche entrouverte, précautionneux.

Mes dents claquent. Ouille, je viens de me prendre un coup de plâtre sous le menton.
BLBLBL...Blllll

Il me rejette, je voudrais le consoler,
Il me rejette.

L'infirmière désolée nous explique qu'elle ne peut rien faire, elle n' a pas le droit de donner un calmant , il a déjà de la morphine , il est tard, elle n' arrive pas à joindre l'interne de garde.
Elle voit le protocole de soin punaisé sur le mur.
Simon? Simon est votre médecin traitant ? Oui? J' espère qu'il est encore dans nos murs, je l' appelle.

Une première tornade rose fait voler la porte, suivi de la tornade à fleur.

  Elles poussent l'infirmière, se précipitent vers Dandy.

  Là, là, tout petit, on est là.  Ce qui va pas? On va t'y aider.
Nanny sous l'émotion reprend ses expressions de savoyarde.

Elle essuie, tamponne, mouche.
Mère sort posément leurs petites bouteilles.

Je les connais ces petites bouteilles.
Quand on se faisait mal , pour soigner nos genoux couronnés, Nanny avait son eau oxygénée et son mercurochrome.
Mère nous mettais son eau de violette sur les poignets ,sous le nez.
L'une ou l' autre mettait quelques gouttes d'eau de mélisse sur un sucre, nous le posait sur la langue.
Tu croques pas, tu laisses fondre.

Petiot, Petiot, pleure, pleure toute les larmes qu'y a dans ton pauvre coeur.

L' autre renchérit, les larmes ce sont des armes qui te le coupe ,ton coeur, fait les partir.

J' avais encore tout faux, avec mon : ne pleure pas, ne pleure pas.

Mon lit s'affaisse à ma droite, Père , essoufflé, vient de s'assoir à ma droite.

-C'est  t' y qu'elles courent encore vite à leur âge!
Je le regarde , étonné.
-Comment vous êtes arrivés aussi vite.

-Tu connais quelqu'un de plus têtu qu'elles?
Hier après midi, on voulait pas de nous dans la chambre.
  Adrienne a décidé de rester, ta mère a fini par obtenir, je ne sais pas comment, des chambres dans la Maison des Familles.
On est à peine à 10 mn d'ici.

- C'est pas réservé pour les parents des enfants?

- Si, mais voilà, personnes ne leur résiste.

Un bruit de botte.

- Tiens Simon Firmin, comment allez vous?

Félix en profite pour filer à l' anglaise, les émotions fortes le retourne dans tous les sens.

- Ça va..., ça va... Je m'en occupe
Un ça va pour mon père , l' autre pour l'infirmière qui laisse la seringue posée sur un  plateau métallique .

Il s'installe aussi sur la couverture.
Nous sommes là, impuissant , à regarder s'agiter doucement les deux vieilles.
Mère masse la main morte avec son eau de violette.

- Les femmes savent mieux que nous prendre soin des larmes.
- Quand elles n'ont plus rien, elles savent encore consoler , renchérit mon père.
-Dans les camps , les hommes vaincus, à terre, elles trouvent encore l'énergie de faire, ranger la tente, houspiller les petits, organiser les corvées d'eau, récupérer la nourriture.

T'es qui toi?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant