T'es qui toi?

Engagement

Mon père parlait de la jeune psy aux yeux verts perçants.
Les yeux n'ont pas changé, j' ai pu la reconnaître grâce à cette description.
Par contre, elle est un peu plus âgée que moi.

Après les présentations d'usage, le sexologue s'installe un peu en arrière de mon champ de vision.

Vous êtes le fils de….?
Excusez -moi, le fils du soldat des stalag?
Oui.
Vous avez peut-être une lettre pour moi.
Oui.
Je m'interroge une dernière fois, je la lui tends. Quand je le voudrais, elle me parlera de lui.
On échange avec cette gentille dame de tout et rien, de ma maladie, du temps qui passe….
Tiens, votre compagnon est militaire aussi.

Je découvre son fonctionnement.
On papote ,de ceci, de cela et tout à coup , mine de rien, elle balance la question qui tue, l' affirmation évidente. Sans transiger.

Vous lui en voulez?
A qui? A votre compagnon.

Posé comme ça , presque en fin de séance, entre un vous aurez beau temps pour votre stage et un je suis ravie de vous avoir rencontrer, la question est une bombe.

Si je lui en veux?
Si je lui en veux?

Je me dresse, je bafouille, je bave de rage.

Je l' ai attendu toute une vie, sapristi, toute une vie.
Et il ne me reconnais pas!!!!
Il ne me ….re….co…nais…pas.

J' ai certainement changé.

Je crache, j' éructe. Et quand je suis allée le chercher au château, j' avais changé?
Je venais de passer mon bachot.
Je tremblais d' anticipation.
Rien, nada…néant….
Plus tard ,lorsque la vie nous a fait nous croiser dans ce couloir d'hôpital : un bonjour glacial.
Le plus horrible ,dans un bar, je me suis raisonné. La  Grande, toujours romantique, m' avait dit: il est peut être amnésique.
J' ai essayé de le draguer , il est allé baiser dans la backroom avec le gogo boy de service .
Et là ,il me mate… Rien. Un inconnu.
Je reste un inconnu.
Vous vous imaginez , être près de l'homme que vous aimez , ne pas être reconnu….ne pas ..

Alors vous lui rendez la pareille. Vous le punissez. C'est ça ? Je peux me tromper
Elle me coupe en pleine rage.
Il n'y a aucun jugement. Un triste constat.
Je retombe dans mon siège.
En silence.
Oui

Fin de la séance .
Je suis frustré.

La Grande me ramène chez moi.

Alors, j' avais raison?
Fais pas semblant de ne pas comprendre. J' avais raison?
Je bougonne.
Oui, il a raison. Oui, je n' ai pas toujours joué franc jeu avec lui.
Oui, j' ai tout intérêt à avoir un autre comportement.
Oh, t'es pas ma psy…
Iel rit , ce rire de cascade claire dont il use et abuse pour séduire.

Le baiser est renversant, littéralement.
On se retrouve l'un sur l'autre dans le canapé.

Je niche mon nez dans son cou.
Mimine , la chinchilla , lui crache dessus.
Je la vire du coussin.
Vexée , elle quitte la chambre non sans griffer la moquette.
Ce que je déteste.

Il n'y a que moi pour trouver charmant les petits cadavres sur la table de la cuisine, et je vois enfin la patte voleuse.

Pour l'instant, on ne va pas plus loin que les câlins, s'embrasser à pleine bouche.

Il est l'homme des amitiés viriles.
Il échange des poignées de main, salut, affable , les uns et les autres
Il paraît si à l' aise.
Et pourtant, il aligne ses galets, peu sûr de lui . En verticale, en horizontale, en carré…
Il finit par poser sa réalité.
Il est ici pour lui, pour aller mieux.
Un peu pour notre couple.
Surtout pour lui.

C'est quoi une thérapie de conversion?
L' animateur regarde l'heure , hoche la tête.
Il parle,en quelques mots percutant.

Regards horrifiés.

Tu te rends compte des dissociations?
Il sait, intuitivement , mais ne se souvient pas.
Je comprends, enfin, son enfer.

T'était qui ,toi, lors de nos rencontres ?
Je rampe jusqu'à lui, je lui prend la main.

Regards attendris .

….je vous rappelle : vous êtes ici pour vous.
Un assistant va s'occuper de Dandy.

A l'aube, exercice physique. Sur une musique tonitruante, fenêtre grande ouverte sur un pré  enneigé ,l' animateur nous propose une chorégraphie dynamique.

Une chaise arrive pour moi.
Je fais ce que je peux.

La nuit étoilée laisse la place au jour.

Petit déjeuner rieur.
Dandy, tu veux du pain grillé ? Je t' épluche un fruit ?
Un peu plus loin , mon Homme discute joyeusement avec un autre participant.
Je ne me sens pas jaloux. Plutôt heureux de le voir heureux.

Se foutre à poil devant seize inconnus ?
Si ça ne le dérange pas, ça me dérange.
Je marmonne.
Il me tapote le dos
Comment faire un massage du dos si je garde ma chemise.
Je vais d' ailleurs devoir faire des concessions.
Il boutonne et déboutonne mes chemises du matin au soir.
Ça perd son romantisme.

Je m' allonge au sol.
Ses mains réchauffées se déposent sur mon dos.
Il suit scrupuleusement les indications.
Je soupire d' aise.
C'est bon.
Un massage de mon Homme, sans enjeux sexuels.

Je gémis. D' autres hommes aussi.

A mon tour. Il me faut trouver une position confortable, je n' ai qu'une main.
Des coussins surgissent, me calent.
Si tu veux bien un assistant viendra faire la deuxième main.
Si je mettais mon bras invalide en écharpe ?
On cherche des solutions.
Torse nu, il attend.
J' aime sentir ses muscles rouler sous ma main.
L' assistant doit aller assister un autre binôme.
Je bouge un peu, trouve enfin une position confortable, stable.
Même avec une seule main, je peux le détendre. J' aime.

On trinque avec nos verres d'eau.
On se retrouve dans un mois.
Promis ,je mettrai  des t-shirts , parce que vraiment, ça les dépasse de voir mon homme boutonner et  déboutonner mes jolies chemises à longueur de journée.

Dernier cercle de paroles.

L'animateur nous propose un défi à réaliser dans le mois.
A votre convenance. Un engagement de vous à vous.

Porter des vêtements plus simples pour simplifier la vie quotidienne de mon Homme.

Il hésite, joue avec ses galets, inspir, expir, grattage de nuque.

Je vais essayer…hum…hummm ….
Essayer…..hummmm….hummmm …
Nous sommes tous suspendus à ces lèvres.

Essayer de faire mon coming out dans ma famille.

Ooooohhhhhh général.

Le jour de Noël, devant toute sa famille réunie pour cette occasion.

Je l' aime mon Homme courageux .

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