9Egara - L'éveil du dragon

Chapitre 11 : Au fond du gouffre

Les jours suivirent et l'escalade de tension ne fit que croître. À chaque pas que je faisais, je voyais l'esplanade remplie de mages qui s'entraînaient sous la supervision des haut gradés. Les mouvements répétitifs, le bruit des coups assénés, des pas battant le sol, rien ne cessait de l'aube au crépuscule. Je voyais ces centaines de mages se relayer et préparer les moindres détails. Les armureries ne fermaient que tard le soir, sortant à longueur de journée armes et protections, tant pour les hommes que pour les chevaux. Le temps avait tourné au gris, s'adaptant presque à l'état d'esprit du bastion.

Je poursuivais mon entrainement, mais seule cette fois ci. Max m'avait donné les instructions que je devais suivre pour poursuivre mon conditionnement, mais il ne pouvait plus se permettre de consacrer autant de temps à une seule personne. Je ne le voyais plus que lorsqu'il était sur l'estrade pour donner ses cours à l'ensemble des mages, alors que je passais en courant matins et soirs. Je sentais son regard sur moi le temps d'un instant, avant qu'il se reporte sur sa tâche. Je passais mes journées à préparer mon corps, espérant sans cesse être prête pour le jour fatidique, mais mon esprit était en retard. J'avais beau avoir assuré le Maître que je ne comptais pas baisser les bras, les images du massacre ne faisaient que passer en boucle dans ma tête. En fin de journée, je ne voyais plus le Q.G, mais le village baignant dans les cendres. Ma chambre n'était plus qu'un cimetière où chaque parcelle du sol était recouverte de cendres d'os calcinés. Lorsque le vent soufflait au dehors, c'étaient les cris des enfants apeurés que j'entendais. Au fil des jours, mes mains plaquées sur mon visage ne suffisaient plus à faire disparaître les hallucinations visuelles. Jours et nuits se confondaient et je voyais mon esprit s'embrumer un peu plus chaque heure. Tout empira lorsqu'un jour, je vis des dizaines de soldats couverts de sang rentrer au bastion. Les combats anticipés avaient déjà commencé, afin de repousser le plus possible les troupes ennemies, et les victimes ne faisaient qu'augmenter. Je voyais ces hommes et ces femmes, le regard perdu dans le vague, certains mutilés, sans que l'idée que j'en étais la responsable ne me quitte. Dès lors, mes nuits n'en furent plus. Je ne dormais plus, restant au fond de mon lit, le regard fixé au plafond, les yeux ouverts sans que le sommeil ne puisse m'atteindre. Les cernes se creusèrent sous mes yeux et bientôt, l'appétit me quitta. Je savais cela contre productif, mais il m'était impossible d'ingurgiter n'importe quelle nourriture, sauf lorsque j'étais sur le point de m'évanouir. Mon corps s'amincit, ruinant les efforts que j'avais pu faire durant les mois précédents. Des spasmes agitaient mes muscles dès que je me tenais immobile. La glace de ma salle de bain ne renvoyait plus que la moitié de ce que j'avais été. Les yeux vides, mon reflet montrait un corps famélique, mes clavicules, les os de mes côtes, de mes hanches saillants sous ma peau terne. Les joues creusées soulignaient mes minces pommettes.

Je ne voyais plus mes amis lors des repas, simplement lorsque je traversais la grande salle pour rejoindre ma chambre. Je percevais leurs regards inquiets du coin de l'œil, leurs sourires tendres, et les entendais m'appeler sans que je me résigne à leur répondre. J'en avais envie, mais je n'y parvenais pas. Je ne me reconnaissais pas moi même. Je ne comprenais pas pourquoi je ne parvenais pas à sortir de ce brouillard qui m'avait enveloppé. C'était comme si je m'étais perdue dans les méandres de la forêt interdite, comme si ma vie de ses derniers mois n'avait été qu'un rêve. Les écailles s'étendaient sur mon bras sans que je puisse les contenir. Sheitan ne parlait plus, mais était omniprésent. À chaque instant je sentais sa présence autour de moi, ne cessant d'envahir les dernières pensées positives que je pouvais avoir. Telle une ombre, il restait dans mon dos, attendant patiemment le moment opportun pour reprendre le contrôle.

-Je m'inquiète pour elle.

Emma regarda son ami au visage angélique et acquiesça. La remarque avait fait se relever certaines têtes à la table.