J'entrouvris les yeux sans grande conviction, perdue dans mes pensées. Marc était là, penché au-dessus de mon couchage, une main sur mon épaule pour me secouer. Mon songe s'en était définitivement allé.
Le grognement qui suivi témoigna de mon insatisfaction. L'esprit encore à moitié dans un autre monde, je peinai à revenir au réel. Redressée, emmitouflée dans ma fine couverture, on me compara à un gâteau sorti du four... Un gâteau dont on avait raté la décoration. Je souris à la métaphore qui me fit clairement comprendre que mon visage devait être digne des monstres de contes pour enfants.
Cette fois-ci, les mages s'étaient levés aux aurores, un mal nécessaire si on voulait arriver avant l'heure du dîner selon Emma. La vision d'un souper bien chaud, assise sur autre chose que de l'herbe mouillée, dans une salle un minimum chauffée suffit à me motiver. Comme chaque matin depuis un peu plus de deux semaines maintenant, je reproduis ce qui était devenu un rite avant de pouvoir nous mettre en route. Les chevaux semblèrent eux aussi épuisés de ce long trajet. Leurs musculatures étaient parfaites, mais un peu plus de graisse ne leur aurait pas fait de mal. En me déshabillant partiellement pour effectuer une toilette sommaire dans l'eau du ruisseau, à l'endroit où elle était particulièrement claire, je me rendis compte que mon état physique ressemblait à celui de ma monture. Les quelques grammes de graisse que j'avais pu accumuler à la capitale s'étaient évaporés en quelques jours de chevauchée. Il fallait que je donne la recette magique à toutes les dames de la capitale qui se plaignaient devant un miroir.
Je frottai ma peau recouverte de poussière de l'eau du ruisseau, tentant désespérément de faire s'en aller la crasse de mes mains, mes bras, mon ventre. Mes vêtements étaient eux aussi loin d'être des modèles d'une hygiène de vie parfaite. Le noir virait au grisâtre à force de se frotter sur toutes les surfaces les plus salissantes et le tissu s'usait plus vite que je l'aurais cru. Par chance, j'étais parvenue à maintenir un semblant de propreté avec mes sous-vêtements. J'étais donc accroupie au-dessus de l'épais filet d'eau, les yeux dans le vague, lorsque j'aperçus quelque chose d'étrange sur mon bras gauche. Je tournai la face intérieure de celui-ci pour observer la bizarrerie : à l'instar de la soirée au refuge rebelle, lors de l'attaque des gardes, ma peau avait virée au noir. Une fine parcelle cependant, sur quelques millimètres de mon avant bras, juste en dessous de mon poignet, mais je reconnus la texture sans aucun mal. Sèche et dure, la marque était apparue durant la nuit. Je la touchai de ma main droite pour essayer de l'enlever, sachant pertinemment que cela ne servirait à rien. Par curiosité, je pris un bout de bois qui trainait au sol et touchai avec ma peau noircie. Mon sens du toucher s'éveilla, me rassurant au passage. En voyant ces étranges stigmates, une part de moi avait eut peur qu'il s'agisse d'une sorte de nécrose. Soulagée, un soupir s'échappa d'entre mes lèvres.
Une voix au fond de moi m'intima de m'emparer du petit couteau que j'avais utilisé la veille pour vider les lapins. Une fois lavée, je mis la lame face à la parcelle. Habitée d'une confiance inconnue, je la pressai contre ma peau. Au lieu de laisser s'échapper un filet de sang, rien ne se passa. Je pressai plus fort, en vain. Le noir demeura intact. J'en fus perplexe, mais pas autant surprise que j'aurais dû l'être. J'avais eu le pressentiment que rien ne se passerait, et rien ne s'était passé. Mon instinct, ou quoi que ce soit d'autre, paraissait se développer de jour en jour. Tout cela depuis le départ de la capitale.
Je décidai de cacher aux deux mages ma découverte. Ma décision ne fut sans doute pas la plus judicieuse, mais j'étais terrorisée à l'idée que cette nouvelle les rende méfiants à mon sujet. Je savais que leur mentir risquait d'empirer les choses, mais je souhaitais voir si la marque s'en irait avant que l'on arrive au Q.G.
Il n'en fut rien. A seize heures, la marque était toujours là, inchangée. Préoccupée, je vérifiai régulièrement l'avancée (ou plutôt la stabilité) de la situation, en prenant soin de ne pas être vue de mes compagnons.
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9Egara - L'éveil du dragon
FantasiDans l'ombre de la capitale à l'abris des conflits entre rebelles et l'armée royale, Sophie, une jeune sans pouvoir, tente de survivre par tous les moyens. Un jour, un soldat la prend pour cible et la jeune femme se retrouve en fuite. Alors qu'elle...