La Rivière des larmes

Chapitre 3 - Comme une malédiction

Milanne cligna des yeux, aveuglée par la lumière du soleil à son zénith. Allongée dans l'herbe grasse des jardins, elle se redressa en s'appuyant sur ses coudes. Une tripotée d'enfants l'entourait. Leurs grands yeux curieux leur donnaient l'apparence d'une tribu d'écureuils, ce qui arracha un soupir amusé à la jeune elfe.

— Je crains avoir épuisé mon stock d'histoires, déclara-t-elle, il va falloir se tourner vers quelqu'un d'autre si vous voulez en entendre de nouvelles. 

— Oh non ! Reste, s'il te plait, la supplia une fillette au teint mat.

— Encore une ! réclama un garçon un peu plus âgé.

Le parfum acidulé des fleurs mêlé à celui des orangers embaumait l'air. L'été touchait à sa fin à Rohir, capitale de la vaste région de Larinu. Mais la température était encore clémente, ce qui permettait à Milanne de venir ici dès que ses leçons matinales se finissaient.

— Très bien, céda-t-elle en se mettant en tailleur. Mais il va falloir me donner des idées.

— Tu ne nous as encore jamais raconté l'histoire de Tirina la Grande, reprit le garçon en agitant l'épée en bois qu'il tenait à la main. Mère dit que c'est pourtant la guerrière la plus puissante que le Dalren ait jamais connu.

Milanne retint une grimace. L'histoire de l'ancienne reine de leur royaume n'avait rien d'un conte merveilleux : elle s'était achevée dans le sang il n'y avait même pas trente ans.

— Est-ce que c'est vrai qu'elle a été tuée par les Askaniens ? s'enquit une petite fille, saisie d'effroi.

— Ces lâches n'ont aucune pitié, grommela le garçon à l'épée. Ils l'ont cernée alors qu'elle était sur le point de prendre le contrôle du nord de l'Askan. Mais heureusement, elle s'est vengée en tuant avant beaucoup de guerriers askaniens.

— Est-ce que c'est vrai que certains d'entre eux maîtrisent les Âmes ? s'enquit une fillette qui tressait la longue chevelure de Milanne.

— J'ignore si cela est vrai, admit Milanne. Mais je connais quelqu'un qui saurait.

Elle jeta un coup d'œil furtif à sa garde du corps, qu'elle savait dissimulée près d'un arbre du jardin, et lui fit signe de s'approcher. Les enfants observèrent la femme qui sortit de l'ombre avec une curiosité mêlée de peur, non pas à cause de son épée, mais à cause de sa peau pâle.

— On a besoin de ton savoir d'Askanienne en exil, sourit-elle.

Anlin répondit par un vague grognement.

— Tu as déjà entendu parler de guerriers maîtrisant les Âmes ? Ou est-ce que ce ne sont que des rumeurs infondées ?

— Oh, les Ashkanis ? Ils sont bien réels, répondit sa garde du corps. Enfin, ils l'étaient plutôt. La dernière fois que j'en ai entendu parler, c'était lorsque la reine Tirina les a décimés jusqu'au dernier en attaquant leur base. Ce n'est pas une mauvaise chose au vu des atrocités que ces monstres pouvaient faire.

Le point de vue d'Anlin intriguait toujours sa protégée. Si elle n'avait pas l'air de s'être totalement intégrée au reste des gardes du palais depuis son arrivée, ni de se considérer comme Dalrenienne, elle rejetait beaucoup de choses de son pays de naissance. Un étrange entre-deux.

— Assez d'histoires pour aujourd'hui, décréta le garçon en brandissant à nouveau son épée de bois. C'est l'heure de jouer !

Avec un rictus attendri, Milanne s'éloigna et s'assit au bord d'une fontaine pour les observer de loin. Elle pouvait leur raconter des histoires, mais du haut de ses seize ans, jouer avec des enfants en se roulant dans la terre ne l'amusait guère plus.