Karis manqua de pousser un cri : deux secondes plus tôt, elle touchait à son but ! Elle retint une larme de frustration.
— Allez vous disputez ailleurs sur vos méthodes d'éducation, ou taisez-vous, grinça Jil.
La ligne noire avait dépassé le bas des cottes de Limbe, qui se soulevait ou s'abaissait au rythme irrégulier de sa respiration. Le cœur de Karis s'emballait, cognait plus fort. Elle pouvait presque entendre le sang qui résonnait à l'intérieur de sa poitrine. Ses pensées, elles, passaient sans rester dans sa tête.
Tous les détails les plus futiles lui sautaient aux yeux : ses mains tremblantes, le pendentif argenté que portait Limbe autour du cou, les cernes de Lumi, l'odeur poussiéreuse de la maison. Ce n'est pas le moment ! Tu aurais dû te concentrer plus, bon sang, tu as échoué ! hurla une voix intérieure. Tu auras sa mort sur la conscience. Plus que jamais, Karis regretta les dons fabuleux d'Unili. Elle aurait déjà sauvé son cousin en moins de temps qu'il ne fallait pour dire « Kya ».
— Allez voir si Léka va bien, intima Jil d'un ton sans appel. Nous l'avons laissé seule.
Aucune des deux femmes ne broncha, elles s'exécutèrent sans piper mot. Karis fixa ses pieds lorsqu'elles quittèrent la pièce, persuadée qu'autrement elle ne verrait que l'étendue du désappointement de son mentor. Qu'est-ce que la Citadelle penserait d'elle en apprenant qu'elle avait laissé mourir l'un des leurs ? Jil posa une main bienveillante sur l'épaule de l'Ashkani.
— Reprenons, veux-tu ? Tu peux y arriver.
— Comment pouvez-vous en être aussi sûre ? soupira la jeune fille.
Tout était à refaire. Cette réalité frappa Karis comme un coup de fouet. Peut-être que le temps qu'elle retrace la Clef, le poison aurait atteint le Cœur de Limbe. Peut-être était-il déjà trop tard. Fichu et douloureux espoir qui lui serrait la gorge.
— Tu es une Ashkani. S'il y a quelqu'un qui peut aider ton ami, c'est bien toi. Et même si cela ne marche pas, Limbe t'en serait reconnaissant d'avoir tout tenté.
— Je ne veux pas qu'il meure ! s'écria-t-elle avant de passer frénétiquement ses mains dans ses cheveux. Je ne peux pas encore vivre ça !
Karis enfouit sa tête dans les bras. Quelle égoïste elle faisait, à ne penser qu'à elle alors que c'était son ami qui souffrait le martyr avec ce poison qui lui dévorait l'Âme. Elle allait finir par croire les superstitions absurdes qui courraient sur son compte dans la Citadelle. Elle ne faisait qu'apporter le malheur à ceux qu'elle aimait, par la faute de son père. Peut-être avaient-ils raison après tout.
— Je sais, murmura Jil en hochant la tête d'un air compréhensif. Mais tu as la possibilité de contribuer à le sauver, tu le réalises ? Et même si ce n'est qu'une possibilité, elle en vaut bien la peine. Même si toi tu n'y crois pas, moi oui.
Karis posa la main sur son cœur pour se calmer, après avoir adressé à son oncle un sourire – ou plutôt une grimace – de reconnaissance. Elle hocha la tête. En quelques minutes, la pièce fut à nouveau illuminée de lumières azur, puis rouge vif, qui tournèrent au violet lorsque les différents traits fusionnèrent. La jeune fille se sentit portée par l'énergie qu'elle créait. Elle pouvait le faire. Il le fallait.
Une fois la Clef tracée et stable, Karis guetta l'approbation de Jil, qui lui lança un signe d'encouragement. Retenant son souffle, elle toucha du bout des doigts ses dessins pour en activer l'effet, qui ne se fit pas attendre.
Toute l'énergie accumulée par ses pouvoirs s'évanouit tout à coup. Elle lâcha un glapissement d'horreur. Les lignes de la Clef ondulèrent dangereusement.
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La Rivière des larmes
FantasiUn ciel qui s'effondre. Deux royaumes en conflit depuis des siècles. Deux Déesses disparues. Deux jeunes elfes ennemies, liées par un secret inavouable. ✷ Enfant illégitime, Karis n'aurait jamais dû faire partie des Gardiens. Mais ils ne peuvent se...