— J'avais le présentiment que vous feriez quelque chose d'idiot dans ce genre, grommela une voix derrière Milanne.
Les mains sur la porte qu'elle s'apprêtait à refermer, la jeune fille soupira avant de laisser sortir Thilste de la cellule. Elle avait attendu que Karis s'endorme pour fausser compagnie au groupe, mais à en juger par ses yeux bouffis de sommeil, Thilste avait adopté la même stratégie.
Il remit le battant en place, la jaugeant d'un œil sévère.
— Vous n'avez rien à dire pour votre défense ? la railla-t-il. Pas de sermons sur le bien-fondé de votre cause ?
— Je n'ai plus le droit de répondre à mes besoins primaires maintenant ? répliqua-t-elle en feignant l'offusquement.
À la lueur de la lune qui filtrait au travers des soupiraux, le visage de Thilste devint distinctement cramoisi.
— Oh, je suis vraiment confus.
— Visiblement, ne put-elle s'empêcher de glousser.
Comment quelqu'un pouvait-il passer d'un air si cynique à un tel embarras ? Mais l'amusement de Milanne retomba tout d'un coup en prenant conscience qu'il n'avait pas tort au sujet de ses véritables intentions.
— J'ai ta permission pour y aller ?
Par Liha, elle ne faisait que s'enfoncer, mais sa remarque eût l'effet escompté, car Thilste hocha la tête d'un air penaud puis retourna dans la cellule. Un soupir de soulagement s'échappa des lèvres de la jeune fille. Mais le plus dur était à venir. Fouiller le bureau de la Prophétesse était peut-être stupide, mais moins que si elle revenait en Larinu sans avoir même essayer d'alléger les souffrances des Abandonnés. Elle avait été lâche jusqu'à présent. Mais même si elle parvenait à lever le voile sur les mensonges de la Prophétesse, ce ne serait que trop peu.
D'un pas discret, elle s'enfonça dans les couloirs du monastère. Personne ne lui avait interdit de les arpenter à ce qu'elle sache. Et le bureau de la Prophétesse devait être facilement reconnaissable.
Dans son errance, elle passa devant des dizaines de portes de cellules, de salles communes, et de petites chapelles. Cet ancien monastère de Kya ressemblait peu ou prou à ceux élevés dans son royaume en l'honneur de Liha. Elle aperçut sur des murs quelques représentations de sa Déesse – monstre de feu qui engloutissait tout sur son passage. Mais les Sans-Visages avait martelés en partie ces affreuses peintures, tout comme ils avaient cherché à effacer le visage de Kya. Si les autorités venaient à découvrir ce sacrilège, ils auraient de sérieux ennuis.
Elle finit par arriver devant un couloir mineur qui s'avérait être une impasse. Une petite fenêtre au fond laissait voir l'éclat du croissant de lune. Dommage qu'elle soit grillagée, autrement Milanne aurait trouvé leur porte de sortie. Mais elle laissait passer suffisamment de lumière pour qu'elle remarque une modeste porte à gauche du couloir, ainsi que le graffiti qui l'accompagnait : « Bureau ».
Elle cilla. Ainsi, le bureau de la Prophétesse n'était pas un lieu sous haute surveillance, comme l'était celui de l'Orem ? Elle s'approcha, tendit l'oreille mais ne perçut aucun son à l'intérieur de la pièce. Elle leva la main pour toquer : si la Prophétesse était à l'intérieur et lui ouvrait, elle pourrait toujours jouer à l'adolescente en pleine crise existentielle, à la recherche de conseils spirituels. Cependant, ce ne fut pas une voix féminine qui l'accueillit, et elle ne venait pas du bureau.
— Je dois le reconnaître, tu as vraiment l'étoffe d'une future Oreme avec ton don absolument phénoménal pour la comédie, grogna Thilste.
Milanne hésitait entre se couvrir le visage de honte ou s'agacer de son acharnement.
— Tu devrais retourner dormir, lui conseilla-t-elle en adoptant son ton moralisateur. Je m'en voudrais te mettre à mal tes pauvres nerfs, mon ami.
— Parce que tu penses qu'ils vont mieux se porter en sachant ce que tu t'apprêtes à faire ? Est-ce qu'il faut que j'aille réveiller Karis pour te faire entendre raison ?
— Elle n'a rien à faire dans cette histoire, je ne veux pas l'impliquer.
Thilste eût un rictus, qui s'évanouit lorsque des voix sonores retentirent depuis le couloir principal. Les deux jeunes se collèrent contre le mur. Une faible lueur – une torche ou une bougie – était apparue à leur gauche.
— On fait quoi ? articula Thilste à moitié en silence.
Si personne ne leur avait formellement interdit l'accès aux couloirs, il était suspect qu'ils soient vus en pleine nuit devant le bureau. Seule, Milanne aurait toujours pu utiliser son alibi d'adolescente en proie à une terreur nocturne et existentielle, mais avec la présence de l'étudiant, elle ne voyait pas quel prétexte utiliser.
Les voix se rapprochaient, et on pouvait clairement à présent entendre des chansons paillardes sortant de gosiers éméchés. Milanne échangea un regard étonné avec Thilste. Peut-être était-ce pour les Sans-Visages un moyen – avec leurs nouvelles croyances – de fuir la réalité de leur misère.
Mais ivre ou non, le groupe qui approchait risquaient de les voir. Milanne ne pouvait pas parier entièrement sur le fait qu'ils gardent leurs yeux sur le couloir principal.
Ils n'avaient plus que quelques secondes avant d'être à découvert. Milanne sentit son cœur faire un bond. Thilste avait fléchi les genoux, dos au mur, dans le vain espoir d'être invisible.
Elle se rapprocha, se plantant devant le jeune homme avant de s'abaisser à sa hauteur. Il haussa les sourcils, l'incompréhension se reflétant dans ses yeux. Milanne n'avait jamais prêter attention à leur couleur d'un doux orangé – à l'exception d'un point plus sombre trahissant ses origines askaniennes. Elle n'avait jamais remarqué non plus les légères taches de rousseur qui constellait son visage agité.
— C'est l'heure de jouer la comédie, lui souffla-t-elle à l'oreille.
Il ouvrit la bouche de stupeur, mais finit par hocher la tête. Il devait avoir compris son idée. Le début du groupe apparaissait à leur droite et les avaient repérés.
Thilste ne protesta pas lorsque Milanne glissa une main dans ses cheveux et, avec un peu plus d'hésitation, posa ses lèvres sur les siennes.
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Toute histoire a sa part de cliché, et j'assume totalement celle-là XD
J'espère que le chapitre vous aura plus, et à la prochaine ! :3
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La Rivière des larmes
FantasiaUn ciel qui s'effondre. Deux royaumes en conflit depuis des siècles. Deux Déesses disparues. Deux jeunes elfes ennemies, liées par un secret inavouable. ✷ Enfant illégitime, Karis n'aurait jamais dû faire partie des Gardiens. Mais ils ne peuvent se...