Chapitre 15 - La pierre des miracles

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Après la petite escapade de Milanne dans la bibliothèque, Anlin s'était postée devant la porte de la chambre. La garde du corps voulait probablement surveiller les allées et venues, laissant Milanne seule face à son désarroi.

Son père allait mourir, et elle ne pouvait rien faire. Elle s'était assise sur son lit, les épaules courbées, à deux doigts de vider tout ce qu'elle avait d'eau dans son Corps.

L'étudiant avait parlé de rumeurs. Cela ne pouvait pas être vrai, si ? Les gens adoraient cancaner et se faire peur. Milanne se força à inspirer puis expirer longuement. Il fallait qu'elle se renseigne plus avant de paniquer.

Il faisait encore nuit noire dehors. Seul le feu de la cheminée permettait de reconnaître dans les ombres de la pièce des meubles inoffensifs, et non des monstres assoiffés de sang.

Le regard de Milanne tomba sur le livre de la bibliothèque, qu'elle avait posé en rentrant sur sa table de nuit avant de l'y oublier. Avec sa couverture en cuir usé et ses pages cornées, il ne ressemblait pas aux épais et précieux grimoires que la jeune fille avait l'habitude d'étudier, et dont elle prenait le plus grand soin.

Néanmoins, malgré la piètre apparence de l'ouvrage, la jeune fille s'y plongea, après avoir rapproché les pages du feu. Elle n'avait rien d'autre de mieux à faire, à part se faire du mouron.

Au bout de quelques lignes, elle se laissait aspirer par ce qu'elle lisait, arrachée à moitié à la réalité. Quêtes mystérieuses, amours impossibles, dames courageuses qui se sacrifient pour leurs cités, tant d'histoires qu'elle ne connaissait étonnamment pas, alors qu'une bonne partie de la littérature dalrenienne était passée entre ses mains, toujours avides de nouvelles choses.

Allongée à plat ventre sur le tapis, la couverture de son lit ramenée jusqu'à ses épaules, Milanne dévora le livre pendant le restant de la nuit. Elle ne vit même pas que le soleil s'était levé.

Elle rit des malheurs de l'avare qui se fit dérober son trésor par un astucieux voleur, et s'attrista du sort des amants maudits de la rivière. Cependant, la fin du conte laissa une moue dubitative sur son visage : Liha tuait de rage l'elfe effronté qui aimait une Askanienne. Dans la version que la jeune fille connaissait, c'était l'inverse qui se produisait. La Déesse du jour ne serait jamais assez cruelle pour commettre un tel acte, alors que Kya avait transpercé sans pitié la femme d'une stalactite de glace.

En proie à l'incompréhension, Milanne retourna le livre sous toutes ses coutures. S'agissait-il d'un livre askanien ? Voilà qui expliquerait pourquoi la facture du papier semblait si différente au toucher.

En faisant défiler les pages à nouveau, ses doigts s'arrêtèrent net sur la première page. En-dessous de l'imposant titre, Les Contes des Montagnes éternelles, qui s'étalait à l'encre noire, des lettres délicates et raffinées formaient en dessous une dédicace.

À mon cher fils Thilste,

A.

La jeune fille fronça les sourcils. Elle avait cru qu'il s'agissait d'un livre de la bibliothèque, mais son caractère personnel montrait qu'il appartenait plutôt à l'étudiant qu'elle avait croisé. Voilà qui était cocasse. En l'espace d'une nuit, elle avait rencontré deux personnes portant les prénoms de personnages légendaires. En effet, si la femme du conte s'appelait Karis, son amant, lui, avait pour nom Thilste.

Tout s'expliquait. Le recueil avait sûrement été volé pendant la guerre, « A. » l'avait ensuite offert à sa progéniture. Ravie de sa découverte, la jeune elfe se rappela néanmoins qu'il lui faudrait redéposer le livre à la bibliothèque pour que l'étudiant puisse récupérer son bien. Il ne manquerait plus qu'on la prenne pour une voleuse.

La Rivière des larmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant