Chapitre 34 - Épargne-la

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Une large ombre se déployait pendant l'après-midi sur une partie de la cour intérieure, au pied du mur ouest de la Citadelle. À l'abri du soleil, Karis aimait y passer du temps lorsqu'elle en avait l'occasion. En creusant un peu à l'aide d'un izu, le sable fin du sol devenait un labyrinthe parfait pour les billes de cuivre que la jeune fille s'amusait à pousser.

Elle profitait de sa dernière journée de répit : le lendemain, elle passerait enfin de Novice à Apprentie, avec Limbe et Calizo. Même si elle n'avait pas réussi à convaincre son père d'avoir Lumi comme Maîtresse, l'Ashkani était aux anges. Elle changeait de grade pour la première fois de sa vie. Mais surtout, elle avait hâte de commencer à apprendre la maîtrise de ses pouvoirs. Unili lui avait promis qu'elle l'aiderait pour le Corps et le Cœur, puisque la maîtrise de leur père se limitait à l'Esprit.

Karis faisait rouler avec attention une bille sur une petite pente savamment construite lorsqu'une paire de mains l'attrapèrent avec un hurlement effrayant. Le sol devint le ciel, et, la tête à l'envers, elle se tortilla pour se débattre. Avec un rire, son attaquant la lâcha, accompagnant sa chute pour qu'elle ne tombe pas brutalement. Les mains pleines de poussière, elle grommela un juron. Mais à la vue de l'homme blond qui se tenait devant elle, toute colère s'évapora comme neige au soleil.

Jil s'esclaffait encore, visiblement satisfait de son mauvais tour. Il portait la tenue que les Gardiens revêtaient lorsqu'ils quittaient la Citadelle pour plusieurs jours, plus protectrice que leur uniforme habituel. Une barre de poussière laissée par le vent et le sable couvraient la peau autour de ses yeux.

Les portes de la Citadelle étaient grandes ouvertes, laissant voir la patrouille de ce mois-ci qui rentrait enfin. Parmi eux, un homme se détacha du groupe et les rejoignit. Il retira le châle couleur sable qui enveloppait son crâne et le bas de son visage. Après avoir fusillé son oncle du regard, Karis se jeta dans les bras de son père, soulagée de le revoir après plusieurs semaines de séparation.

— Et moi je n'ai pas le droit à ce genre d'embrassades ? Je suis très jaloux, s'offusqua Jil.

— C'est tout ce que vous méritez après cette attaque sournoise, répliqua-t-elle.

Après avoir échangé une œillade complice avec son frère, Sorra laissa échapper un gloussement et referma ses bras autour de sa fille en mettant un genou à terre pour être à sa hauteur. Surprise qu'il réponde aussi chaleureusement à son étreinte, elle ne put retenir un sourire. Il était de bonne humeur.

— Tu m'as manqué, lui souffla Karis. Je croyais que vous n'arriveriez jamais à temps pour la cérémonie d'Apprentissage.

— Bien sûr, on n'aurait manqué ça pour rien au monde, lui répondit Sorra.

— Prête à supporter ton père comme mentor ? renchérit Jil.

Karis hocha la tête. Sorra leva les yeux au ciel sans parvenir à dissimuler son amusement. Toutefois, quand il se leva, une grimace de douleur lui arracha son mince sourire.

— Ne force pas, lui conseilla Jil avec un soupir. Je t'avais dit que ça allait empirer, on aurait dû rentrer à la Citadelle plus tôt.

— Tu es blessé ? s'inquiéta Karis.

— Trois fois rien, marmonna son père. On a eu la malchance de tomber sur un masahk pendant la patrouille, c'est tout.

Une tache brune sur son pantalon indiquait que la blessure datait de plusieurs jours au moins. La jeune fille frissonna. Elle n'avait jamais croisé l'une de ces terribles créatures des sables. Une vraie chance, quand on savait qu'elles possédaient de longs appendices, telles des araignées, aussi tranchants qu'un rasoir.

La Rivière des larmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant