Chapitre 25 - Hallucinations mortelles

37 3 66
                                    

L'homme affichait un mince sourire, triste, qui fit frissonner la jeune fille. Elle ramena sa couverture à elle, comme si cela pouvait la protéger, faire disparaître ce qu'elle avait sous les yeux. Les effluves d'une odeur tiède qu'elle n'avait pas senti depuis des années l'enveloppèrent. Elles lui donnaient paradoxalement l'envie irrépressible de se jeter dans les bras de l'homme, alors que son corps se recroquevillait un peu plus contre le mur.

— Tu pensais t'être débarrassée de moi ? s'amusa-t-il en secouant la tête.

De sa main tatouée de trois losanges – signe des Combattants – il ébouriffa les mèches de l'adolescente. Celle-ci saisit la main brusquement, palpant la peau pour en percevoir la chaleur. Elle releva la tête vers l'homme, les yeux écarquillés.

— C'est... impossible, bafouilla-t-elle d'une voix blanche. T... tu... es mort !

— Moi aussi je suis au comble de la joie de te revoir, ironisa-t-il. Quel genre de père ne serait pas heureux d'être avec sa fille préférée ?

Karis fronça les sourcils, essayant de masquer son trouble. Plusieurs pensées se bousculèrent dans sa tête, sans qu'elle ne parvienne à discerner quelle était la bonne réponse. Si le mot de « préférée » réveillait en elle une vieille sensation de satisfaction malsaine, son rictus mi-méprisant mi-peiné la déstabilisait.

L'homme affecta une mine peinée devant le silence duquel elle ne parvenait à s'extirper. Les mots restaient bloqués dans sa gorge comme si la réalité s'était tout à coup figée.

— C'est Lumi qui t'a montée contre moi, n'est-ce pas ? Oh je ne te blâme pas, ricana-t-il devant son mutisme, même petite tu étais très influençable. Toujours prête à faire quoi que ce soit pour lui faire plaisir. C'était une tentative touchante, je dois bien admettre.

— Tais-toi, tu es bien placée pour dire du mal d'elle, grinça l'Ashkani entre ses dents. Elle n'essayerait jamais de me monter contre toi.

La jeune fille voulait courir loin d'ici, mais la porte lui était inaccessible, barrée par cette ombre qui avait surgi des profondeurs du passé. Une ombre qui semblait – au gré du vacillement de la flamme de la bougie – lui sourire avec douceur ou la jauger d'un air déçu. Peut-être les deux à la fois. Une vague de honte la submergea. Dans le recoin de son Âme où s'était logé la conscience de Limbe, elle entendit la voix inquiète de son ami :

Ce n'est pas réel ! Mets-y un terme, ça ne sert à rien de te torturer avec ça.

Elle ignora son intervention, agacée. Il ne pouvait pas comprendre : ses parents l'aimaient lui et Léka sans distinction. Karis, elle, n'avait été que le fardeau de Sorra pendant des années, la marque indélébile de ses actions. Sa nyken. Son enfant illégitime. Et pourtant, pourquoi était-ce si difficile de vivre sans lui, alors que cinq longues années s'étaient écoulées ?

— Je sais que tu m'aimais, murmura-t-elle pour se rassurer. À ta manière, certes, mais... Tu n'étais pas quelqu'un de mauvais.

— Peut-être que c'est toi qui étais aveugle, lui sourit Sorra avec une tristesse soudaine.

Karis avait du mal à respirer. Elle avait terriblement soif, et mal à la tête. Jamais elle n'avait eu autant envie de se rouler en boule dans un coin de son lit, et de sombrer dans un sommeil sans rêves.

Écoute-moi par pitié, lui parvint la voix de Limbe. Je sais que ce n'est pas facile à accepter, mais on ne revient pas du royaume des morts. C'est une hallucination. Tu étais malade comme un chien il n'y a même pas deux minutes, qui sait si ce ne sont pas encore des effets secondaires de ma présence ?

La Rivière des larmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant