Thilste resta silencieux pendant de longues secondes. Karis eut de la peine devant l'expression angoissée de Milanne. Elle se plaça à côté d'elle pour lui serrer brièvement la main. Mais sa sœur ne faisait que fixer son ami en se mordant la lèvre.
— Qu'est-ce qui m'a trahi ? finit-il par articuler d'une voix faible, presque triste.
— Ça, je suis curieux de le savoir, ajouta Érenn. Même moi, je ne vois pas.
Il fallait dire que même si son teint n'était pas aussi mat que celui de Milanne, Thilste avait l'air de n'avoir que du sang dalrenien dans les veines. Du moins, à première vue.
— Tes yeux, répondit l'Ashkani. Ils ont une tache bleue. Une couleur pas très dalrenienne, si je peux me permettre.
— Forcément, suis-je bête, ce sont toujours les yeux qui nous trahissent, ronchonna Érenn. Sauf toi Karis, tu as de la chance avec tes mirettes à l'apparence purement askanienne. Je parie que dans le reste de la ville, personne ne devine que tu as un parent abandonné. Non pas que ce soit une tare, mettons-nous d'accord dessus. Mais c'est un peu agaçant qu'à chaque fois que je sors du ghetto, entame une sympathique conversation avec des gens, ils prennent leurs jambes à leur cou quand ils remarquent la subtile – mais très élégante, si je peux me permettre – lueur dorée dans mon regard.
— On ne parle pas de toi là ! éclata Milanne.
Les deux garçons sursautèrent face à son ton autoritaire. Karis en aurait bien ri, si elle n'avait pas l'air réellement blessée.
— Il faut qu'on parle.
Elle attrapa le bras de Thilste et sortit en trombes de la salle. Érenn se gratta la nuque. Karis se tendit tout d'un coup. Tenait-elle le moment pour récupérer son médaillon ? Elle pourrait utiliser ses pouvoirs pour immobiliser le sang-mêlé puis l'assommer. Mais quel risque qu'on le retrouve avant qu'elle n'ait pu s'enfuir avec Milanne ?
— Je ferais mieux de les suivre, soupira Érenn. Histoire qu'ils ne s'étripent pas. Et toi, tu devrais aller à l'infirmerie. Tu as un bleu sur la joue.
Étonnée, Karis porta sa main à la joue, pour en effet découvrir une dureté là où Thilste lui avait asséné un coup de bâton. Elle retint un rire : il avait fini par frapper assez fort.
— Très bonne idée.
Érenn lui indiqua sommairement le chemin à suivre avant de sortir à la recherche de Milanne et Thilste. Elle ramassa son voile puis attendit un peu avant de quitter la pièce redevenue silencieuse. Elle croisa quelques fidèles dans les couloirs, Askaniens comme Dalreniens, dont une jeune fille à qui elle redemanda son chemin.
Elle finit par arriver devant une porte. Son cœur continuait de pulser à cadence effrénée, mais plus à cause de l'effort, ni de la satisfaction d'avoir piégé Thilste. À la place, les battements étaient douloureux dans sa poitrine.
Après une hésitation, Karis frappa trois coups secs contre le battant.
— Entrez ! résonna une voix à l'intérieur.
C'était lui. Si elle avait eu des doutes devant les détails confus donnés par Milanne, plus aucun n'était permis à présent. C'était sa voix à lui, toujours mesurée et réconfortante. La voix de celui qui avait soigné ses égratignures laissées par ses bêtises de Novice, ri aux éclats lorsqu'elle lui avait assuré être en train de mourir – elle avait juste ses premières règles – et qui avait pansé ses plaies le jour où, cette fois-ci, elle avait vraiment failli passer l'arme à gauche.
Ses doigts tremblants tournèrent la poignée avec lenteur. Il était de dos, vêtu d'une tunique abîmée par le temps, et bien différente de l'uniforme dans lequel elle avait eu l'habitude de le voir. Karis ferma le battant derrière elle. Pouvait-elle seulement lui faire encore confiance ?
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La Rivière des larmes
Viễn tưởngUn ciel qui s'effondre. Deux royaumes en conflit depuis des siècles. Deux Déesses disparues. Deux jeunes elfes ennemies, liées par un secret inavouable. ✷ Enfant illégitime, Karis n'aurait jamais dû faire partie des Gardiens. Mais ils ne peuvent se...