Chapitre 45 - La dernière alliée

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L'assassin avait désormais un nom. Koro. Ces deux syllabes brûlaient la langue de Karis, alors même qu'elle n'osait pas les prononcer à voix haute. Avec l'attaque contre ses amis, le vol de son médaillon et à présent un nom, le fantôme cessait définitivement de n'être qu'une brume du passé.

Cette nuit, même les petites créatures de lumière ne parvenait pas à apaiser la rage qui ronflait dans ses veines. Ni la culpabilité qui s'y mêlait. Assis sur des cailloux tranchants au bord de la rivière irisée, les petits corps l'entouraient de leur chaleur, mais elle n'en sentait pas les effets.

Elle avait agi comme une lâche. Au dîner, elle aurait dû s'asseoir à côté de Lumi, lui demander pardon et lui parler de l'intrusion de Garlia dans sa mémoire. Au lieu de quoi, elle ne s'était pas rendue au réfectoire, errant dans les couloirs de la Citadelle en espérant n'y croiser personne. Pire, lorsqu'elle était partie se coucher, l'estomac noué, elle avait entendu les pas de Lumi dans le dortoir, mais avait fait mine de dormir profondément. La femme avait rebroussé chemin sans chercher à la réveiller. L'Ashkani oscillait entre soulagement et déception.

Karis enfouit son visage dans ses mains, une pression insupportable dans sa gorge à cause du sanglot qu'elle retenait. Un petit Dymon s'approchant, la dévisageant de ses grandes billes. Elle accepta l'étreinte qui lui offrit sans hésitation. La créature n'avait pas l'odeur rassurante de son père, mais c'était mieux que rien.

Elle n'arrivait toujours pas à y croire. Un fragment d'Esprit de Sorra était terré dans un coin de son Âme. Au moins, il ne semblait pas avoir accès à sa conscience, probablement enfermé dans sa mémoire. Qu'avait-il à y cacher ? S'en souvenait-il seulement, comme il avait effacé sa mère de ses propres souvenirs ?

— Karis ? s'écria une voix à l'accent chantant désormais familier. Oh par Liha, qu'est-ce qui ne va pas ?

Chray, jura-t-elle en son for intérieur. Après avoir attendu une heure Milanne, elle en avait conclu qu'elle ne viendrait pas. Laisser son ennemie la voir dans un état si pathétique était la dernière chose dont elle avait besoin. En la voyant accourir, une lueur inquiète ternissant son visage, Karis n'était cependant plus aussi sûre que le terme « ennemie » était approprié pour décrire le lien qui l'unissait à la Dalrenienne. Surtout si ce lien était teinté du sang qu'elles partageaient.

Milanne s'assit à côté d'elle, tapotant la tête du Dymon. L'Ashkani lui en était reconnaissante d'avoir les yeux fixés pudiquement sur le lointain.

— Tu peux me dire ce que tu as sur le Cœur, si tu en as envie, hésita-t-elle. Je promets de ne rien juger. Je dois bien ça à celle qui m'a tiré des griffes du Thalakan.

Un gloussement nerveux secoua Karis, avant qu'une larme ne s'échappe de son œil. Combattre le Thalakan lui parut plus aisé à cet instant.

— J'ai blessé quelqu'un, avoua-t-elle.

Milanne inclina la tête, une moue curieuse déformant ses lèvres charnues.

— Avec un caillou ? la taquina-t-elle.

— Pas littéralement, rectifia l'Ashkani. Avec mes mots. Et je suis en train de prendre conscience que de toutes les manières, ça a eu le même effet qu'un poignard.

Le hurlement de désespoir de Lumi hantait encore ses oreilles. Son Esprit le rejouait en boucle à chaque fois qu'elle tentait de se rassurer en se disant que son mentor était une femme forte, qui avait survécu à pire qu'une adolescente ingrate. En vérité, elle craignait de s'admettre que Lumi n'était plus que l'ombre d'elle-même depuis la disparition de Sorra et d'Unili. Non, elle avait dû commencer à sombrer bien avant, avec son arrivée à la Citadelle.

La Rivière des larmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant