Chapitre 36 - Vers le sud

26 3 23
                                    

Depuis que Thilste était sorti de Runac, il n'avait qu'une envie : se débarrasser de son uniforme d'étudiant. S'il se fichait pas mal de ce qu'il portait d'habitude, le tissu des vêtements fourni par l'université le démangeait horriblement. Hors de question qu'il passe une minute de plus dans cette chose inconfortable maintenant qu'il était réveillé.

Il remit avec joie l'une de ses vieilles tuniques, de couleur écarlate, qui datait d'avant son arrivée à Runac il y a quelques mois. Elle était douce, et lui rappelait sa vie d'avant. Il pouvait presque sentir l'odeur d'iode dessus – Solarina était au bord de l'Océan –, à moins que ce ne soit son imagination qui lui joue des tours.

Un bruit de chute le fit sursauter. Milanne avait sauté de la branche, manquant de tomber au passage. Il ne put retenir un rictus railleur et elle le foudroya aussitôt du regard.

Ils marchèrent le long de la route pour ne pas se perdre, mais à bonne distance du tracé, se tenant prêts à se cacher au moindre bruit de galop. Milanne vérifiait qu'ils empruntaient les bons embranchements à l'aide d'une carte qu'elle avait sortie de son sac.

Guilleret, Thilste observait la lumière vert-dorée filtrer à travers les feuilles. Il ne s'était jamais senti aussi... léger. Pour la première fois depuis des mois, la tension qui contractait ses épaules s'était relâchée.

Il ne vit pas la route passer. Ce fut Milanne qui dut le rappeler à l'ordre, alors qu'un carrefour apparaissait au loin. Un homme sur un cheval s'y trouvait, comme s'il les attendait. En effet, les armes des Larinu – un livre ouvert surmonté d'un soleil – apparaissaient sur son armure. Ils se mirent à plat ventre par terre en une fraction de seconde. Le soldat ne bougea pas, visiblement plus occupé à épousseter sa cape qu'à scruter la végétation touffue où ils s'étaient dissimulés.

— Je crois que c'est ici que nos chemins se séparent, lui chuchota la jeune fille tout bas. Attention, il y a sûrement d'autres soldats sur les routes.

Il hocha la tête, et sentit un pincement au cœur sans savoir pourquoi. Ce n'était pas comme si cette adolescente naïve et probablement pourrie gâtée allait lui manquer.

Le jeune homme devait emprunter la route qui menait au nord-est s'il voulait rallier la capitale. Une fois arrivé là-bas, il espérait que son père ne lui claque pas la porte au nez pour s'être échappé de l'université.

Quant à la jeune fille, qui normalement devrait aller à l'ouest si ses calculs étaient bons, elle serait sûrement accueillie à bras ouverts. Les Larinu étaient aimé de leur peuple, aucun doute dessus. Surtout que la Larinu en question était une jeune fille à l'air fragile qui venait de fuguer pour retrouver son père chéri. Thilste ne doutait pas que dans quelques semaines, l'histoire touchante aurait fait le tour de la capitale et attendri tout le monde. Peut-être même que son frère composerait une ballade dessus, et la déclamerait devant leur mère pour chasser son habituelle tristesse.

Pourtant, il ne lisait que peur et appréhension, et même un peu d'espoir, dans les iris de la jeune fille, rouges comme un crépuscule agonisant.

— Bonne chance, lui souhaita-t-il en prenant sur lui.

Milanne parut surprise, mais lui sourit. Comme contaminé, ses lèvres s'incurvèrent faiblement en retour.

— Merci pour votre aide, murmura-t-elle, je n'y serais jamais arrivée sans.

Le jeune homme aurait aimé jouer la carte de la modestie, l'assurer que ce n'était rien, mais aucun son ne sortir de sa gorge. Il ne serait pas sorti de Runac sans elle.

— Je suis sûre que vous trouverez votre chemin, ajouta-t-elle. Bon voyage.

Déstabilisé, Thilste ne sut que répondre. La jeune fille se retourna, puis s'éloigna courbée en deux pour rester à l'abri sous les fougères loin de la vue du soldat. Il observa la silhouette avancer progressivement, jusqu'à disparaître dans la végétation.

La Rivière des larmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant