Chapitre 20 - Aveux

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Assise au bureau de sa chambre, Milanne froissa pour la énième fois une feuille de parchemin. Elle vit Anlin arquer le sourcil devant le gâchis de papier, ce qui ne fit qu'accentuer l'agacement de la jeune fille. Depuis une heure, elle s'escrimait à écrire une lettre à son père, mais les mots ne lui venaient pas. Chaque tentative sonnait faux, soit trop larmoyante, soit trop détachée du tourbillon d'angoisse qui ne la quittait plus.

Milanne reprit sa plume encore humide d'encre, avant de recommencer à noircir une feuille à la lueur de sa bougie.


Pardon de m'être emportée, vous ne méritiez pas ça. Jamais je n'aurais agi de manière aussi stupide si j'avais su que vous


Elle laissa la phrase en suspens, incapable de finir. Mais si elle était coincée ici pendant que son père était à l'agonie, il fallait qu'elle trouve le moyen de s'excuser au plus vite. Ses lèvres se pincèrent, et son pied tapa frénétiquement contre le tapis. Elle n'avait pas envie d'avoir à écrire cette lettre. Elle voulait seulement rentrer chez elle, et retrouver Dias en bonne santé, même si la probabilité était peu élevée – en dépit de ce que Niel prétendait.

Soudain, on toqua à la porte. Sur ses gardes, Anlin alla ouvrir, et laissa passer une servante. Elle portait un plateau, au centre duquel se trouvait une enveloppe. Milanne tressaillit, se levant brutalement de son siège.

— Nous venons de recevoir cette lettre à votre intention, l'informa-t-elle.

Ses doigts s'en saisir fébrilement pour la déplier, mais la déception l'envahit : l'écriture était petite et élégante, rien à voir avec le tracé brouillon de l'Orem. Au moins, elle n'était pas écrite en rouge – signe de l'annonce d'une mort.

— Merci, lui répondit Milanne.

La servante s'inclina brièvement puis sortit de la pièce. Milanne se jeta sur son lit et se cala dans les cousins, avec un arrière-goût de mauvais pressentiment dans la bouche. Curieuse, Anlin tendit le cou, mais n'alla pas jusqu'à lire par-dessus son épaule. Sa protégée commença sa lecture avec une grimace.


Chère cousine et nièce


— Il ne pouvait pas s'en empêcher, grommela-t-elle tout bas.

Son cousin adorait lui rappeler qu'il était en réalité son oncle, puisqu'il était le cousin de son père de sang. Sans doute cela lui procurait-il la satisfaction de rappeler que dans la hiérarchie familiale, il serait au-dessus d'elle si Dias ne l'avait pas adoptée.


Chère cousine et nièce,

C'est avec une grande tristesse que j'ai appris que vous n'étiez plus à Rohir lorsque j'y suis arrivé. Toutefois, je suis fort aise de savoir que vous avez la chance d'être à Runac.


Milanne renifla avec dédain. Il devait être trop heureux d'être au palais sans elle. Elle n'était pas fâchée non plus de ne pas avoir à le croiser.


N'ayez pas d'inquiétudes, je saurai distraire notre malade de votre absence. Votre compagnie nous manque cependant terriblement. J'espère que nous nous reverrons vite dans des circonstances plus favorables.

Ilia


La jeune elfe se figea. Où étaient les mentions de la guérison dont parlait Niel ? Elle avait la preuve devant ses yeux que le Lyllun lui avait menti. Et qu'il n'était pas le seul.

— Tu sais quelque chose, lança-t-elle à Anlin en plissant les yeux.

— Il va falloir être plus précise, répliqua-t-elle.

— A propos de Père.

— Pour la énième fois, s'agaça l'Askanienne, je ne sais...

— Ce n'était pas une question ! la coupa Milanne avec véhémence. Tu sais pourquoi on m'a envoyé ici. Pourquoi tu les as laissés me piéger comme ça ? Tu sais que je risque de ne jamais le revoir ?

Sa voix se brisa sur la fin. Elle retint son envie de hurler. À la place, elle se leva brusquement du lit pour éviter le regard coupable d'Anlin, et jeta la lettre d'Ilia au feu. Le papier s'enflamma avec un petit bruit, suivi des brouillons de Milanne. Le visage rendu chaud par les flammes et par son chagrin, elle pinça ses lèvres tremblantes.

Youmila, je suis désolée, murmura Anlin derrière elle. Je n'avais pas le choix. C'était un ordre direct de l'Orem de te conduire ici sans te dire que tu y resterais, je ne pouvais pas lui désobéir. Mais j'ignore pourquoi il a agi ainsi.

Les bras de Milanne s'agrippèrent l'un à l'autre, avant qu'elle ne laisse échapper un sanglot. Il n'y avait plus rien à faire, elle était coincée ici jusqu'à ce qu'on lui annonce la mauvaise nouvelle. Entre-temps, elle était condamnée à feindre que tout allait bien, alors qu'à l'intérieur d'elle-même elle était prête à escalader la muraille de la forteresse pour s'en échapper.

Anlin lui tapota maladroitement l'épaule.

— Tout va s'arranger, lui assura-t-elle d'une voix peu convaincante. On n'est jamais à l'abri d'une bonne nouvelle.

Milanne hocha la tête, essuyant les larmes sur ses joues avec la manche de sa chemise de nuit. Malgré sa bonne volonté, Anlin ne lui serait d'aucun secours dans son angoisse.

— Je vais me coucher, lâcha-t-elle.

La garde du corps hocha la tête. Elle s'approche de la commode près de la porte, puis sortir un objet rectangulaire d'un tiroir. Milanne reconnut avec étonnement le livre de Thilste. Anlin déposa également une petite boîte sur sa table de nuit.

— J'ai oublié de te dire, mais le jeune homme m'a redonné ce livre pendant ton bain, expliqua-t-elle avec le ton de quelqu'un qui cherche à se faire pardonner. Il a dit que tu pouvais le garder autant de temps que tu le voulais. J'espère que ça te distraira un peu. Et aussi, ajouta-t-elle en tapotant la boîte, j'ai demandé aux servants du Lyllun de me donner des plantes soporifiques.

Milanne esquissa un maigre sourire. Elle prit le livre et se glissa sous la couette, la tête lourde. Anlin effectua un bref salut avant de s'allonger sur son matelas. Sa protégée ouvrit le livre, mais attendis que la femme ait le dos tourné pour feuilleter les pages avec attention.

Thilste ne lui avait sûrement pas prêté son précieux livre par bon plaisir au vu des gros yeux suspicieux qu'il lui avait fait quand elle lui avait rendu. Que cherchait-il à faire en le remettant à sa garde du corps ?

La réponse ne tarda pas à apparaître au détour d'une marge, sous forme de lettres en pattes de mouche :


Rejoignez-moi à la bibliothèque à la troisième heure de la nuit.

Ne soyez pas en retard.

T.



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La Rivière des larmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant