Les oreilles brûlantes, Milanne n'osa pas regarder Niel dans les yeux, malgré l'amusement qui transparaissait sur ses traits. Elle résista à l'envie urgente de se tordre les doigts, se maudissant de sa stupidité. Elle n'était pas à Rohir, elle aurait mieux faire de tourner sept fois sa langue dans la bouche avant de parler. Et encore, même dans le palais de l'Orem elle ne pouvait pas non plus dire n'importe quoi. Encore moins se ridiculiser devant des gens de la plus haute importance : soit exactement ce qu'elle venait de faire.
— Vous avez l'air étonnée qu'on puisse renoncer à un pouvoir si écrasant, rit le Lyllun. Mais je vous rassure, notre roi bien-aimé est un bien meilleur souverain que je ne l'aurais été.
Ses yeux ambrés plissés par un sourire avisèrent un instant la toile. Il s'en rapprocha, puis remis le drap à sa place. La reine et les deux garçons disparurent. Anlin, placide, ne pipa mot.
— Ce tableau appartient à un passé révolu, n'en parlons plus.
Milanne hocha la tête, trop heureuse d'être extirpée de ce mauvais pas.
— Nous avons reçu à l'instant des nouvelles de l'Orem, c'est la raison pour laquelle je vous cherchais.
— Vraiment ? Comment va-t-il ? Enfin je veux dire, se rectifia-t-elle en triturant l'ourlet de ses longues manches, j'imagine qu'il n'est pas miraculeusement guéri mais...
— Vous devriez plus croire aux miracles, répondit-il. La lettre que j'ai reçue indique votre père va beaucoup mieux.
L'angoisse que ne la quittait pas depuis ce matin se renforça. Elle n'était pas sûre de pouvoir se fier au Lyllun. Après tout, il ne faisait qu'obéir aux ordres de son suzerain. Liha savait à quel point l'Orem pouvait être têtu, surtout s'il voulait maintenir à sa fille à l'écart.
— Cela signifie que je peux retourner à Rohir ? hésita Milanne.
À sa grande déception, Niel répondit par la négative.
— J'attends un contrordre pour vous autoriser à partir.
Résignée, Milanne opina du chef avec le sourire le plus serein qu'elle put lui offrir. Soupçonneuse, elle ne put s'empêcher de penser que Dias tenait seulement à la tranquilliser et à s'assurer qu'elle resterait bien chez les Larq. Cela ne l'encourageait qu'à chercher comment s'échapper de cet endroit. L'image de la petite muraille des jardins s'imposa comme un flash. Si seulement elle pouvait la franchir et prendre le chemin de Rohir...
Elle eut du mal à s'extirper de la conversation du Lyllun, qui lui assura qu'elle n'était pas prisonnière ici, mais envoyée dans cette forteresse pour son propre bien. La jeune fille fit la moue mais ne le contredit pas frontalement. Heureusement, Niel finit par les quitter.
Se rappelant le livre de Thilste, Milanne retourna dans sa chambre. Elle récupéra le recueil en quatrième vitesse et ressortit sans même attendre sa garde du corps. De toutes les façons, l'Askanienne la suivrait comme son ombre qu'elle ne le veuille ou non. Et puis, la forteresse était gardée : elle ne risquait rien.
Elle retourna dans les jardins d'un pas rapide, car elle ne voulait pas faire attendre Thilste plus longtemps. Une légère brise s'était levée et faisait onduler l'herbe. Le jeune homme n'avait pas bougé. Le contenu de son parchemin non plus : il semblait plongé dans une rêverie dont lui seul connaissait le secret. L'expression vague sur son visage disparut dès que Milanne s'approcha de lui.
Anlin s'était écartée à une distance respectueuse, près d'un arbre. Milanne tendit le livre à Thilste. Sans se lever, il le saisit et l'observa minutieusement, comme s'il craignait que la jeune fille l'ait abîmé.
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La Rivière des larmes
FantasiUn ciel qui s'effondre. Deux royaumes en conflit depuis des siècles. Deux Déesses disparues. Deux jeunes elfes ennemies, liées par un secret inavouable. ✷ Enfant illégitime, Karis n'aurait jamais dû faire partie des Gardiens. Mais ils ne peuvent se...