La danse de l'épine empoisonnée

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Enfermées dans le pavillon de Zhang Xinyi, elles peuvent toutes entendre les mouches voler. Les servantes sont prostrées dans les recoins, le menton dans le cou, les mains fermement entrelacées ; certaines se mordillent la lèvre. Wu Lingxin n'a pas relevé la tête depuis qu'elle s'est heurtée à l'ignorance brutale de l'Empereur. Et Qi Jiayi est repliée au sol, le front contre le bois, attendant sa sentence. En soi, elle commettrait encore et encore cette erreur si elle lui permettait de passer sous la protection de Long Zhelan. Or, avec ce qu'il lui a dit, tous les soupçons qu'il nourrit à son égard, elle n'est pas prête d'obtenir ses faveurs. 

— Je vous ai accueillie dans mon domaine, commence Zhang Xinyi, la voix rauque. Je n'ai fait preuve d'aucune négligence envers vous, et cela même alors que vous êtes la fille de notre ennemi juré, l'enfant de la nation qui a déclenché une guerre contre nous et qui nous a propulsés dans le deuil, les pertes et la misère au cours de ces dernières décennies. J'ai choisi de vous accorder mon hospitalité dans ce palais, de vous offrir le pavillon des orchidées, des robes qui m'appartiennent et j'en ai commandé d'autres rien que pour vous, j'ai exigé de mes serviteurs qu'ils vous aident à vous installer. En échange, je ne pense pas avoir imposé de contraintes pénibles... Et voilà que, dès le début, vous bafouez la règle la plus importante de toutes. Qu'avez-vous à déclarer, Qi Jiayi ?

Plus basse que terre, la Princesse de Heilong adopte un ton solennel et exagéré pour lui répondre.

— J'ai rencontré sa Majesté par inadvertance pendant sa balade matinale et je n'ai pas osé lui refuser ma compagnie. C'est que je suis de nature timide, Impératrice douairière Zhang, et j'ai craint de m'attirer ses foudres. Je comprends à présent que j'aurais dû suivre vos règles, même si je devais déplaire à sa Majesté, et que je n'ai aucune excuse pour justifier mon comportement. Vous avez été si bonne avec moi. Je regrette. Veuillez me pardonner, Impératrice douairière Zhang. Je ne m'approcherai plus de sa Majesté, c'est promis. Punissez-moi à la hauteur de mon crime.

— Je n'ai que faire de vos promesses. Redressez-vous. Tendez vos mains.

Jiayi ne saisit pas tout de suite ce qui va se produire et obtempère. Zhang Xinyi fait claquer sa langue contre son palais et retourne vivement ses paumes vers le plafond du pavillon. La Princesse de Heilong discerne le bâton de bambou entre ses longs doigts crochus. Ah... Et c'est reparti. Elle ne s'attendait pas à subir une telle punition à Jinlong maintenant qu'elle s'est échappée de sa capitale native. Elle serre les dents et ne pipe mot. L'Impératrice douairière s'en donne à cœur joie. Une dizaine de coups secs et brutaux suffisent pour écorcher sa peau lisse et douce, pour la rougir et elle guette les perles de sang qui tardent à venir. 

Jiayi ne bouge pas. Ses bras sont raides, vibrent à peine sous les coups. Ses doigts ne se replient pas. Sa bouche ne tremble pas et ses paupières ne se baissent pas non plus. Elle ne pousse ni cri de douleur, ni geignement, pas même un soupir. Sa respiration est calme. Régulière. Voilà bien le seul pouvoir qu'elle a cultivé : sa résilience. Malgré l'humiliation et la souffrance. Elle est fouettée une cinquantaine de fois et Zhang Xinyi n'a pas l'air décidée à s'arrêter.

C'est à cet instant que la porte du pavillon coulisse. Long Jingyi entre et se fige à la vue de Dame Qi agenouillée, les paumes écarlates, les servantes mortifiées, Dame Wu éteinte et silencieuse, et l'Impératrice douairière qui s'acharne et se défoule. Ni une, ni deux, elle se rue sur la Princesse de Heilong et dérobe ses mains à la colère de sa mère. Elle la protège de son corps et souffle sur les rougeurs, comme pour l'apaiser. Jiayi en serait presque émue et presque attendrie si une haine sans nom ne bourdonnait pas dans son esprit. Le temps qu'elle se tempère et la gratifie d'un faible rictus en guise de remerciement, la jeune fille s'est déjà tournée et s'exclame :

D'Or et de NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant