Une faille dans les remparts nord

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Jiayi n'arrive pas à fermer l'œil. Cela fait une dizaine de minutes qu'elle perçoit des bruits sourds à proximité de son pavillon des orchidées. Au début, elle ne réagit pas trop, pensant à des gardes ivres qui seront punis ou même tués pour leur comportement inapproprié, ou des serviteurs qui ne tiennent plus en place... Quoi qu'il en soit, elle n'avait pas anticipé la réalité de ce qui l'attendait. Elle commence à s'agiter à la seconde où les sons étouffés se rapprochent et qu'elle a l'impression d'être observée. Elle se relève, revêt son pardessus léger et zieute par-delà les petites fenêtres rectangulaires, mais, ne détectant rien d'anormal, elle retourne se coucher.

Ning Ning a fini par déserter. Elle a sûrement rejoint l'un des pavillons éloignés destinés aux domestiques.

Elle somnole. Jusqu'à ce que ses narines soient titillées par une étrange odeur. Elle renifle plusieurs fois, et se redresse d'un bond sur son lit... Ne serait-ce pas la senteur si reconnaissable du feu ? Du brûlé. D'un incendie, en fait. Elle fonce à nouveau vers les fenêtres et là, elle tombe sur une vision d'horreur. Se reflètent sur le minuscule étang gelé en face de son pavillon des flammes ardentes et impétueuses qui ravagent le parterre des dernières orchidées. Cela l'enrage au plus haut point, elle tremble, les poings serrés sur sa robe. Comme si, en décimant ces fleurs qui forment l'identité même de cet endroit, l'on s'efforçait d'effacer sa propre identité à elle. Et Jiayi, bien qu'elle n'aime pas particulièrement sa vie ici, compte bien protéger ce qui lui a été confié.

Ni une, ni deux, elle sort et se poste sur les marches de son pavillon. Elle maîtrise mal les pouvoirs liés aux éléments, mais elle se concentre et appelle de toutes ses forces la force de l'eau. Un cercle de lumière noire se dessine sous ses pieds en des runes complexes et elle puise dans son énergie et dans celle de la terre pour produire un jet afin d'éteindre les flammes. 

Malgré ses efforts, elle ne parviendra à rien à cette allure et réfléchit à un autre moyen. Pour le moment, elle doit attendre que des domestiques sentent le feu et ramènent des seaux remplis d'eau ; d'ici là, elle peut contenir le brasier. Jiayi a du mal avec le feu, elle ne possède pas de grandes affinités avec lui et serait incapable de l'absorber, ce qui réglerait le problème. Par conséquent, elle décide de créer une sorte de barrage tout autour, limitant les dégâts à ce pauvre parterre d'orchidées. Ainsi, il ne se répand pas sur le bois et le bambou, et elle peut s'éloigner pour avertir les serviteurs.

La jeune femme crie le nom de sa servante, puisque la résidence des domestiques ne se trouve pas très loin du pavillon, et elle se met à courir à l'écart de cette chaleur suffocante, lorsqu'une poigne de fer s'enroule autour de son bras et la tire en arrière. 

Choquée, elle trébuche sur sa robe et bascule en arrière. Personne ne la rattrape. En revanche, elle est traînée et de nouveaux doigts s'agrippent à son autre avant-bras. Elle hurle à s'en époumoner, mais un tissu vient s'enfoncer dans sa bouche. Elle se force à respirer par le nez et se débat, telle une tigresse déchaînée. Elle utilise ses ongles pour griffer ces mains mystérieuses, elle plante ses talons dans la terre pour les ralentir et elle renverse sa tête pour entrapercevoir  ses assaillants au milieu de la fumée. Masqués, évidemment.

Ils la jettent à l'intérieur de son pavillon et à la seconde où ils la relâchent, elle crache le tissu et s'égosille aussitôt. Ils sont au nombre de cinq. Le même incendie qu'à l'extérieur s'embrase alors dans ses yeux félins et furieux. Jiayi est prête. Elle recule jusqu'au fond de la pièce principale, encerclée. Aussi vite que possible, elle effectue une série de mouvements destinés à envoyer une onde de choc. Malheureusement pour elle, ils s'y sont préparés et l'un d'eux lance un charme sur elle. La magie se colle à son être et se fond en elle, lui interdisant d'user de ses capacités. Comme si son essence ne lui appartenait plus. Elle sait que cela est temporaire, elle le sent, mais, dans l'immédiat, elle redevient la jeune Princesse de Heilong déchue et impuissante.

D'Or et de NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant