Une histoire de factions

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Il s'avère que le pavillon des orchidées porte bien son nom et qu'en plus, il est effectivement agréable d'y vivre, comme tout endroit dans ce palais, d'ailleurs. Les premières heures, le temps que Ning Ning rassemble les éléments nécessaires à son confort absolu, Jiayi est restée sage. Elle a contemplé l'extérieur de la petite fenêtre carrée de sa chambre. Elle a notamment étudié les va-et-vient nombreux, malgré l'emplacement isolé de ses nouveaux appartements privés et elle en a vite déduit que les quartiers des domestiques ne se trouvent pas très loin. Cela lui a tiré un sourire. 

Ainsi, elle a été placée à proximité des serviteurs ? L'ancienne Princesse a saisi sans mal le sous-entendu. À la moindre erreur, son statut peut être bouleversé et elle peut se retrouver dans les cuisines à nettoyer les bols de Long Zhelan et de Zhang Xinyi si elle ne se tient pas tranquille.

Par la suite, elle a pris son bain dans une eau tiède et rafraîchissante, puis elle s'est habillée à l'aide de Ning Ning. Celle-ci a été surprise de discerner des taches violacées sur certaines parties de son corps, en particulier sur son ventre, ses cuisses et ses bras, mais elle n'a posé aucune question, remarquant combien Jiayi s'est braquée à l'instant même où elle s'est mise nue. 

Plus tard, dans la soirée, elles sont sorties devant le pavillon. Jiayi a profité de l'air frais et revigorant, elle a erré autour de l'étang central de cette zone-là du palais et elle s'est enivrée du fort parfum des orchidées. Elles lui donnent déjà mal à la tête, mais elle préfère sentir leur tenace fragrance fleurie plutôt que la crasse des cuisines. En fait, elle doit même avouer que cet endroit lui plaît davantage que son pavillon à Heilong. Personne n'est venu lui parler, personne ne l'a regardée, à l'exception de quelques servantes bavardes qui ont murmuré en passant et l'ont complimentée ou critiquée avec bien peu de discrétion.

— Il est vrai que vous êtes très belle, Mademoiselle. Quand l'Impératrice douairière vous autorisera à quitter le palais, je suis persuadée que vous ferez fureur à la capitale.

— Tu dis cela pour me réconforter.

— Pas du tout !

Elles n'ont pas échangé plus. Ning Ning a rapidement deviné que sa maîtresse désirait se ressourcer et reposer la migraine qu'elle a si bien cachée durant toutes ces journées à cheval. Toute cette pression, ces mésaventures, le choc d'une installation précipitée dans un royaume ennemi, la jeune servante ne doute pas que cela puisse la perturber. Ceci, Jiayi refuse catégoriquement de l'admettre, elle qui est si fière et têtue. Elle ne montrerait pas de signes de faiblesse, pas si tôt après son arrivée ici. Elle doit se forger un caractère en acier pour supporter cette énième épreuve de la vie. 

Le calme règne, des oiseaux chantent sur les quelques branches aux fleurs épanouies et tout s'apparente à un rêve éveillé, un recoin du monde préservé du mal. Jiayi en apprend beaucoup de la hiérarchie dans le palais, en observant de loin, mais en observant bien. Par exemple, elle sait à la beauté de ces lieux et à la façon d'entretenir ces apparences, qui dirige vraiment ici. Pas Long Zhelan, c'est certain. Zhang Xinyi se donne du mal pour que tout soit conforme à ses attentes. 

Au final, l'ancienne Princesse rentre au pavillon en ayant zieuté ci et là et compte mieux analyser demain. Elle se couche tôt, prenant soudain conscience d'à quel point elle est épuisée. Et bien qu'elle ait joué la comédie à la perfection, Jiayi n'a pas dormi sur ses deux oreilles lors des haltes, entourée de soldats ennemis à qui elle ne vouait pas la moindre confiance pour la protéger d'autrui ou d'eux-mêmes. 

Elle rêve cette nuit-là. De son enfance auprès de ses frères, puis de son adolescence seule au palais tandis qu'ils s'envolaient tous les uns après les autres dans des camps militaires ou s'isolaient avec des Maîtres cultivateurs afin de développer leurs capacités physiques et internes. La pauvre petite Jiayi, elle demeurait à son pavillon, elle tournait en rond, elle recevait les visites non-désirées de son père et elle n'avait pas le droit de démontrer une quelconque ambition, que ce soit dans son rang ou dans ses études. Il lui fallait se taire et s'incliner. 

D'Or et de NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant