D'Or et de Noir

L'exemple à montrer

Jingyi pleure toutes les larmes de son corps. 

Long Zhelan l'enlace avec douceur et la berce dans l'espoir vain de la tranquilliser, mais la voilà qui sanglote depuis plusieurs jours et elle ne s'arrêtera pas de sitôt. Ils se sont agenouillés devant la stèle de Zhang Xinyi et elle s'excuse sans répit. Cela fait des heures qu'elle est pliée en deux le front plaqué contre la pierre glaciale et qu'elle implore le pardon de sa mère. Il s'est efforcé à de nombreuses reprises de l'éloigner, de la faire regagner son pavillon pour qu'elle se repose et se remette de cette épreuve, mais elle refuse de quitter les souterrains de cet endroit, nommé tristement le Palais des Morts, où les Rois et les Reines de Jinlong sont enterrés génération après génération.

Bien qu'elle se tienne responsable de cette mort inattendue, Long Zhelan l'a exclue de la liste des coupables potentiels. D'une part, parce qu'il voit à son attitude qu'elle n'aurait pu commettre un crime de sang-froid et ensuite pleurer à chaudes larmes. Et puis, parce que Long Jingyi est une fleur pure. D'autre part, parce qu'il a retracé ses moindres faits et gestes de ce jour-là. 

Comme toutes les semaines, elle a cuisiné pour sa mère, à la demande de celle-ci, et son travail acharné a fourni des plats ridiculement affreux que même les domestiques n'auraient pas mangés, y compris s'ils mouraient de faim. Ceux-ci ont par la suite amené ce repas à l'Impératrice douairière qui aurait froncé les sourcils et pesté contre les talents médiocres de sa fille. Néanmoins, par habitude, elle a tout avalé. Jusqu'à la dernière bouchée. Wu Lingxin a déjeuné en sa compagnie, ainsi qu'elle le fait souvent. Au début, elle ne s'est aperçu de rien et puis, Zhang Xinyi a commencé à s'étouffer. Sa servante principale a couru en appelant le médecin impérial, mais il est arrivé trop tard. Elle était morte dans une flaque de bile régurgitée. 

Avant ce terrible déjeuner, Jingyi a parcouru la capitale avec Dame Qi, ainsi que cette dernière l'en avait averti. Elles ont acheté les ingrédients qui ont mené à son décès. Tout de suite, la piste du poison a été évoquée, appuyée par la conclusion du médecin impérial. Long Zhelan a ordonné la capture immédiate de chaque marchand qui a vendu un produit aux deux jeunes femmes. Ses soldats les ont interrogés des heures durant et n'obtenant pas d'aveu, il a permis aux gardes de sa belle-mère, bien plus autoritaires dans cette affaire, de prendre la relève. Cela a résulté en de violentes tortures qui n'ont abouti à rien. Personne n'a confessé l'empoisonnement de l'Impératrice douairière... Jusqu'à ce que Wu Lingxin rappelle à l'Empereur que sa belle-mère était gravement allergique à l'hibiscus. 

Ni Jingyi, ni Wu Lingxin n'ont vu de l'hibiscus dans le repas ou dans ses breuvages. Ils ont donc songé au basilic plutôt et là, tout est apparu plus clair. Les gardes se sont acharnés sur l'herboriste, mais il a juré qu'il ne mélange pas ses herbes et qu'aucune erreur de sa part n'a pu être commise. 

Jingyi a préparé le repas. Les serviteurs l'ont apporté. Jiayi a acheté les herbes aromatiques. L'herboriste les a vendues. Wu Lingxin a déjeuné avec elle. Qui d'autre aurait pu empoisonner l'Impératrice douairière ? Pour quelle raison ? Il cherche un motif, une explication, sans succès. Sa jeune sœur s'est persuadée qu'elle a mixé les herbes, que c'est elle qui a mis du basilic dans le plat par mégarde. Elle est d'une naïveté telle que son frère ne peut s'empêcher de la prendre en pitié et il l'étreint avec plus de fermeté, espérant que sa présence fasse tarir ces méchantes larmes. Bien sûr qu'elle n'est coupable de rien. Comment aurait-elle pu piocher dans les aromates des cuisines et ne pas se rendre compte de son erreur ? Elle s'en souviendrait. Or, elle n'a utilisé que les ingrédients achetés la veille, rien d'autre.  

— Votre mère ne voudrait pas que vous pleuriez autant sa mort, lui susurre-t-il. Elle préférerait que sa petite fille poursuive une existence calme et prudente. N'est-ce pas ?