D'Or et de Noir

L'oiseau fait son nid

Un mois s'écoule ainsi. Ning Ning s'aperçoit de plus en plus de l'esprit tordu par les ambitions de sa maîtresse. Celle-ci n'a eu de cesse de feindre la faiblesse. Toute la nuit, elle médite. Puisque son pavillon des orchidées se situe à l'opposé du palais interne ou des trois seules autres cultivatrices ici, personne ne se doute vraiment de ce qu'il advient du crépuscule à l'aube, dans cette chambre close. De temps en temps, la jeune servante jette un œil à l'intérieur. Au début, Jiayi ne s'en rendait pas compte et elle l'observait pendant plusieurs minutes. Sa technique de méditation s'améliore de soir en soir, si bien qu'à un moment, elle s'est brutalement extirpée de sa transe, parce qu'elle avait senti l'approche de la jeune fille qui était restée paralysée devant sa porte, à moitié penchée à l'intérieur.

— Je ne vous dérangerai plus, Mademoiselle. Veuillez me pardonner.

Jiayi n'avait point commenté et s'était replongée dans sa méditation. Tous les soirs, sans exception. Cela vise justement à la rendre plus forte, plus robuste ; au réveil, elle n'est donc plus fatiguée. Au contraire, elle est en pleine forme, prête à affronter une nouvelle journée d'étude avec ou sans Long Zhelan. Ce dernier a disparu quelques jours afin de rattraper son retard sur ses obligations et il ne s'installait qu'une poignée d'heures avec elle. La Princesse de Heilong s'est toujours montrée aimable et souriante avec lui. Elle le charme, il s'en gêne et la punit, mais elle continue et revient à la charge. Ning Ning assiste à ces petits jeux entre eux et elle n'en croit pas ses yeux. L'Empereur aime sincèrement occuper son temps avec elle ; il le cache mal et paraît plus lumineux en sa présence, même s'il se rappelle souvent combien il se méfie d'elle. 

Un soir en particulier, sa maîtresse s'est attelée à tester d'anciens enchantements appris à la va-vite, en épiant les enseignements de ses frères. Il s'avère qu'elle sait former un bouclier défensif, ainsi que des minuscules billes de feu. Elle a d'ailleurs manqué d'enflammer tout son pavillon. Par chance, seules deux estampes se sont embrasées et elle a réussi par miracle à lancer une énorme flaque d'eau ; sûrement un réflexe de ses pouvoirs qui l'a sauvée d'explications embarrassantes. 

Ning Ning l'a grandement félicitée, puisqu'elle a fait jaillir de l'eau. Une excellente nouvelle pour son but commun avec l'Empereur. Pour l'irrigation de la terre. Combattre la sécheresse. Elle a alors supposé que sa maîtresse se concentrerait là-dessus. Or, elle s'est surtout intéressée à des enchantements offensifs. De toute évidence, elle ne cherche pas à aider Jinlong. Pas le moins du monde. La jeune servante a longuement hésité à la dénoncer à sa Majesté ou, au moins, à Zhang Xinyi pour obtenir des conseils de cette dernière. Mais, elle s'est remémoré la loyauté qu'elle a promise à Qi Jiayi. Qui plus est, elle ne se doute pas encore de ses raisons exactes, mais ses motivations proviennent bien de quelque part. Elle ne fait pas cela pour rien. Ses intentions doivent être nobles et justifiées. N'est-ce pas ? A-Ning s'est rassurée de la sorte. 

 — Vous semblez vraiment proche de sa Majesté.

Aujourd'hui, en chemin vers le palais interne, elles ont croisé Wu Lingxin en pleine promenade. Jiayi s'est tenue éloignée d'elle et de l'Impératrice douairière autant que possible. Elle refuse qu'un seul pan de son projet ne soit gâché par l'une d'elles. 

— Nous partageons seulement une salle d'étude et ne parlons pas la majorité du temps.

— L'Impératrice douairière en a discuté avec sa Majesté. En revenant du palais interne, elle m'est apparu hors d'elle. Je ne l'ai jamais vu aussi en colère. Je pense que sa Majesté vous utilise pour l'enrager.

— N'aurais-je pas d'autres utilités à sa Majesté ?

Le sous-entendu surprend la Dame Wu qui s'arrête de marcher pour réfléchir. Jiayi se rend compte alors de combien elle sonne orgueilleuse et elle fait mine de rire.