D'Or et de Noir

Un interlude sous les flocons de neige

Sur la route de retour pour la capitale de Jinlong, elle a beau fureter et zieuter ci et là, l'Amulette de la Dévotion Solitaire est introuvable. Enroulée dans du tissu, elle peut seulement affirmer que Long Zhelan ne la garde pas sur lui. Il ne la porte pas à son cou et elle ne l'a pas vu la confier à un de ses gardes. Jiayi se demande même s'il n'aurait pas envoyé un soldat de confiance en amont de leur escorte afin qu'il retourne en premier au palais et cache l'artefact. Car une fois sur place, tous les regards se braqueront sur eux. Ou ils pourraient se faire attaquer par des brigands en chemin. Surtout que la nouvelle des déplacements de l'Empereur s'est répandue dans la région.

Ce matin, il neige. Dans la calèche, Jiayi observe le paysage par la petite fenêtre carrée. Elle a parcouru ces routes à cheval, à l'aller, et elle se souvient d'un trajet beaucoup plus rapide. Cette jeune femme déteste plus que tout l'immobilité, l'enfermement. Après avoir subi toute une vie à Heilong en tant que prisonnière de sa propre famille et après avoir goûté à un brin de liberté auprès de l'Empereur, elle a horreur de rester assise des heures durant sans rien faire, à attendre que les minutes défilent. Long Zhelan observe son manège et écoute ses soupirs avec amusement. Bien sûr qu'il a ordonné à ce qu'elle siège à ses côtés, à l'intérieur, confortablement, puisqu'elle a failli donner toute son énergie pour le sauver. Il ne tenait pas à ce qu'elle se fatigue à cheval. Néanmoins, il commence à entrevoir son erreur à son cinquantième expiration exagérée. 

Tout à coup, elle a l'air de distinguer quelque chose au-dehors, sort son bras et tape contre le bois de la calèche pour que le serviteur stoppe les deux chevaux. Elle l'interpelle, mais il ne l'écoute pas. Pour toute réponse, il siffle sur les montures pour qu'elles continuent leur avancée. Outrée, Jiayi fait volte-face vers l'Empereur dont les sourcils se haussent. Il jauge la route et elle, tour à tour, avant de prendre la décision qui lui évitera ses remontrances.

— Halte ! Je décrète une pause. Quelques minutes. 

À peine a-t-il prononcé son ordre que Jiayi a déjà sauté de la calèche sans l'aide de personne. Il entend le cri aigu de sa servante qui tente sûrement de lui courir après, mais qui peine à descendre de son propre cheval, à l'arrière de l'escorte impériale. Long Zhelan sort à l'air libre et inspire un grand coup de fraîcheur. Même s'il neige et que l'hiver est définitivement installé, le vent ne souffle pas et une fine brise caresse les visages. Il fait doux. L'Empereur fait signe aux gardes et aux serviteurs de patienter ici, tandis qu'il suit les traces laissées par la jeune femme dans le sol épais et blanc. Il la retrouve un peu à l'écart de la route principale.

— N'avez-vous rien retenu de ce que je vous ai dit sur les révoltes et sur les brigands ? En plus, nous empruntons une route officielle. N'importe qui pourrait nous tendre une embuscade.

— Quelle idée de s'aventurer sur les sentiers connus, marmonne-t-elle avant de sourire grandement et de parler plus fort. Regardez cela, au lieu de jouer au rabat-joie.

Elle finit de cueillir quelques fleurs pour former un joli bouquet. Elles ont résisté à la neige et poussent au seul endroit dans ces bois dont on discerne la terre. Long Zhelan est frappé par son large sourire. Par sa beauté aux traits encore juvéniles. Elle n'a pas fini de grandir. Il ne l'avait pas remarqué auparavant. Combien son masque a absorbé son innocence d'enfant et comment elle a été forcée de devenir une femme. 

Subitement, il n'a plus l'impression de contempler la froide et calculatrice Qi Jiayi, celle qui s'est enfuie de son palais en feu et qui a assassiné son père, pas non plus celle qui n'a cessé de lui faire ses yeux de biche afin de le séduire pour une raison qu'il n'a pas encore déterminé. Non, pour une fois, il reconnaît la véritable Princesse de Heilong, celle qui existe toujours sous le masque et qui ne se dévoile que rarement.