Enchaînée à son passé

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Jiayi comprend mieux pourquoi ses frères sont passés inaperçus ces derniers mois. Ils ont recruté très tôt Pang Yun et il s'avère que cet homme est vraiment puissant, au point de créer des barrières protectrices infranchissables. Ils se sont souvent déplacés, ont choisi des grottes et des renfoncements dans les forêts et à chaque fois, ce Xiansheng les couvrait avec ses pouvoirs. Il les conduit à un campement où ils se sont tous donné rendez-vous. Peu d'hommes reviennent et ceux-là sont immédiatement congédiés pour leur sécurité. Jiacheng leur promet de les appeler si les frères Qi ont encore besoin de leurs services. Ce sont d'anciens soldats de Heilong qui refusent de plier face à l'Empire.

Elle se morfond des heures durant, à l'écart, et Jiacheng a la gentillesse de la laisser en paix. Il ne l'interroge pas et il discute seulement avec Pang Yun. Ces deux-là ont l'air plutôt proches ; ils ont des ambitions similaires. Contrairement aux autres frères qui sont concentrés sur la ruine totale de Jinlong et l'obtention de l'Empire, les deux aînés souhaitent rétablir l'équilibre d'antan, sans la guerre. Les deux royaumes séparés, mais sans conflits. Jiayi ne se retient pas de rire, les surprenant dans leur conversation. Aucun ne commente. Quels idiots, se dit-elle, qu'ils sont naïfs. Il faut un dirigeant autoritaire pour unifier le territoire, autrement les batailles reprendront malgré les bonnes volontés. L'entente n'existe pas.

Ses frères arrivent bien plus tard. Le soleil s'est levé. Elle n'a pas dormi de la nuit. Elle est épuisée. Elle a même pleuré, de rage et de rancœur envers son plan qui a lamentablement échoué. Elle n'en veut à personne d'autre qu'elle-même. Le second né, Jiaxang, porte très mal son nom. Lui qui était prédestiné par leur mère à une fortune exceptionnelle, il a grandi dans l'ombre de Jiacheng, constamment rabaissé par leur père. Une plaie a scindé sa joue droite en deux et un filet écarlate coule sur son front, en plus d'hématomes vifs. Le troisième, Jiamin, est réputé dans tout Heilong pour sa beauté et ses traits gracieux, souvent comparé avec une fleur. Néanmoins, tous se méfiaient de lui, car ses compétences en combat ne se comparaient en rien à la délicatesse florale de son visage. Il a préservé ce dernier de coups ou de blessures, mais pas ses mains qui sont pleines de cicatrices ouvertes, répandant son sang partout sur la selle de sa monture. 

Elle n'a pas besoin de les regarder attentivement pour déterminer leur état de colère intense, poings et mâchoires serrés. Ils bondissent de leur selle et font leur compte-rendu à leurs aînés. Cependant, Jiayi est bouche bée, ahurie, effrayée, une goutte de sueur coule dans son dos, alors qu'elle discerne une forme recroquevillée sur l'un des deux chevaux. Elle se lève et s'approche, devinant avec effroi de qui il s'agit, mais Jiaxang ne lui laisse pas l'occasion de le confirmer. Il lui fonce dessus, ignorant les avertissements de Jiacheng, et lui empoigne les épaules. Son souffle se répercute sur son front en une haleine fétide. 

— Toi, misérable petite idiote ! Tu croyais que je ne t'avais pas vue, hum ? Sale traînée !

Il lui agrippe les cheveux et commence à la tirer vers le feu de camp, mais Jiacheng s'interpose tout de suite.

— Lâche-la. Jiaxang, c'est un ordre !

Son cadet s'arrête, les orbes écarquillés de mépris.

— Un ordre ? Tu me donnes des ordres maintenant ? Cette garce préfère la compagnie de Long. Qu'elle retourne auprès de lui. Je ne garantis pas qu'il la retrouve dans le même état.

Il part dans un rire guttural et la traîne un peu plus vers le feu.

— Non ! J'ai dit non, Jiaxang ! 

Le cadet finit par s'immobiliser, sans pour autant lui lâcher les cheveux.

— Cette traînée a pactisé avec l'ennemi. Tu l'as constaté par toi-même, Cheng-ge. Elle courait de partout à la recherche de son maudit Empereur. Elle a refusé de partir avec toi. Je suspecte d'ailleurs qu'il l'a abandonnée, qu'il l'a renvoyée. Sinon, pourquoi aurait-elle fait demi-tour ? Ou non... En fait, il lui a sûrement donné la mission de nous espionner. Ai-je tort ?

D'Or et de NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant