Chapitre 1 : Retraite (non corrigé)

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La pluie de cendre parsemait nos cheveux de petits cotons gris, alourdissant l'atmosphère d'un sentiment mélancolique. Cependant, les combats qui faisaient rage tout autour nous rappelaient que le sang et la mort giclaient toujours.

Je relevai lentement le menton et ne vis que le dos des miens ; ému, je compris que le reste de nos soldats risquaient leur vie pour faire barrière aux ennemis et ainsi nous accorder quelques instants de répit avec mon père. Instants qui s'étaient si rapidement écoulés. Désormais il n'était plus et...

-Kenfu, me murmura une voix tendre, m'arrachant à mes pensées macabres.

Je ne bougeai cependant pas d'un cheveu.

-Kenfu, on doit partir, gémit Sinna en me tirant par le coude. Ils sont trop nombreux...

Je fermai les yeux, la mâchoire crispée. Les larmes roulèrent sur mes joues, brûlantes. Nous avions échoué. Aïru, Julie, ils étaient morts en vain.

Une nouvelle main m'attrapa le bras, elle avec plus de poigne, pour me soulever et m'arracher à mon père. Je lâchai un hurlement pitoyable, horrifié a l'idée de ne le lâcher qu'une seconde.

-Tu ne peux rien faire, lâcha Kaï d'une voix rauque tout en m'enserrant férocement le poignet.

Mes membres se secouèrent seuls, mon esprit se débattit puissement pour échapper à sa poigne, retourner auprès du défunt. Mes yeux restaient fixés sur son sourire mort, ses yeux vides et pourtant remplis d'un gouffre sans fin.

Mais Kaï ne semblait pas avoir la force, ni même le courage, pour me retenir plus longtemps. Je m'écroulai au sol, pris de relais par Sinna, et laissai son odeur m'englober. Couverte de sang, elle m'entoura tendrement de ses bras et, ensemble, nous regardâmes Kaï et trois autres soldats soulever la dépouille de mon père. Nous nous relevâmes à leur suite et détalâmes vers la côte, où les chaloupes nous attendaient toujours.

Si je gardai les yeux rivés sur mon père, traîné et porté tel une poupée de chiffon, cela ne m'empêcha néanmoins pas de voir que Sinna peinait à suivre le rythme. Elle clauditait et affichait une grimace de douleur au visage.
À contre cœur, comme déchiré de devoir me détâcher d'Aïru, je stoppai notre course pour constater l'etendue de ses blessures. Couverte de plaies béantes, elle avait quelques éclats d'obus, quoique petits, plantés dans la jambe droite.

Malgré mes épaules perforées et mon torse sanguinolant, je me penchai sans prévenir pour mettre une main dans le plis de ses genoux et la soulever.
Surprise, elle voulut protester mais nous étions déjà repartis. Elle passa donc un bras autour de mon épaule et s'y agrippa avec force, comme de culpabilité.

-C'est toi qui devrait me porter, raillai-je d'une voix rauque, encore sous les larmes.

Elle pouffa et se détendit, me laissant la garder dans mes bras. Nous passâmes la colline difficilement et la devalâmes à toute vitesse.
Mon cœur était serré de douleur, tant de voir mon père et Sinna ainsi, tant d'inquiétude de ne savoir où Jeane, George et Thiflea se trouvaient. Si cette dernière avait au moins échappé aux explosions des camions, mes deux amis faisaient quant à eux parti des troupes terrestres et je n'avais aucune idée de leur état actuel.

Nous traversâmes la plage a toute vitesse et gagnâmes la dernière chaloupe qui demeurait sur la côte. Je pouvais voir le restant de ces dernières sur les flots au derrière. Soulagé, j'en comptai une cinquantaine ; il devait donc rester pas mal de survivants. A moins que ces navires ne soient remplis que de cadavres emportés.

Je déposai Sinna sur un banc de bois avant de m'installer à ses côtés. Elle déposa sa tête sur mon épaule et nous laissâmes, avec reconnaissance, les soldats ramer jusqu'au porte-avion.

Nos embarcations furent ensuite soulevées à l'aide de solides cordages jusqu'au pont, où on nous aida à descendre. Quelques secondes plus tard à peine, je sentis le navire s'ébranler et les marées nous porter loin des terres qui, naguère, étaient les nôtres.

Je pris appui sur le plat-bord, nauséeux, pour regarder les eaux fourbes frapper la coque. En quelques secondes seulement, les larmes me revinrent et je pris soudainement conscience de la situation.

J'étais orphelin.
Nous avions perdu la guerre.
Phoenix était tombé aux mains des ennemis.

Les Mondes d'Enohr ; les Secrets de Kaï -Tome 3 Cycle 1 / Terminée /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant