Chapitre 8 : le Privilège du Silence (non corrigé)

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À ma suite montèrent Sinna, à qui je n'accordai pas un regard, puis Jeane et à la traîne derrière elle George, la mine mécontente. Notre amie venait de réaliser un exploit en l'arrachant au plat bord. À moins que le navire ne doive repartir à Stellarium, et que l'Ours préfère les tourelles macabres aux bombardements.

Puis, lorsque Kaï embarqua à son tour, les portes assourdissantes se refermèrent en un claquement et nous nous élançâmes sur le chemin sablé.

A peine quelques minutes plus tard, nous aperçumes à une centaine de mètres une imposante demeure aux murs pâles, dont le toit noir rivalisait avec les tours de l'île. Seulement, elle paraissait déja plus accueillante et davantage chaleureuse que ces dernières.

La navette nous abandonna à son seuil avant de repartir vers l'agitation monstre dont on entendait même d'ici les bruits.

-Mes amis, annonça Kaï d'une voix impassible, presque nostalgique, voici la demeure dans laquelle j'aurais dû vivre si la guerre ne m'avait pas forcé à mener l'armée et à devenir Roi.

Il ouvrit ses bras en grand, comme désireux d'étreindre le paysage. Mais un long silence acceuillit ses paroles, et Jeanne eut une toux embarrassée :

-Cool, ouais, cool...

-Pourquoi on a droit au luxe et pas les autres ? sifflai-je, agacé de ce privilège auquel je ne pensai même pas avoir droit.

Mais le vieil homme me jeta un regard lourd de sous entendus, avant de s'engager sur le chemin qui menait à l'entrée :

-Tu le découvriras probablement très vite.

Je tressaillis : si Kaï me prédisait ainsi l'avenir, c'était qu'un grand événement, probablement dangereux ou marquant, profilait. J'espérai toute fois que cela n'impliquait pas des blessés ou, pire, de nouveaux décès.

Il avala les marches salies de terre et de végétation d'une traite, comme pressé, avant de pousser les lourdes portes de bois. Elles hurlèrent à nos tympans leur vieil âge, arrachant à Kaï une grimace, qui lui peinait à les déplacer.

Cependant, il finit par les coincer contre les murs de l'entrée et nous dévoila un hall d'entrée impeccable. Le plancher verni et les murs de bois étaient propres, élégants, tandis que la grande pièce de vêtait d'une dizaine de meubles simplets et discrets. Nous y pénétrâmes sans prononcer le moindre mot, tant abasourdis qu'hébétés à l'idée de loger ici.

-Ils ont tout nettoyé avant ma venue, murmura Kaï en faisant glisser son doigt sur un canapé de velours vert, comme ému.

-Je préfère ça aux tours centrales, approuva George, fier de ce privilège.

J'étais quant à moi dubitatif. J'étais bien entendu soulagé de savoir que je serais écarté de la foule et des soldats, de la puanteur de la mort et du sang, mais je maintenai mes paroles sur le fait que tous avaient droit à cela. Il était injuste de nous accorder cette chance et pas a d'autres qui le méritaient tout autant.

Je laissai mon regard courir sur l'élégant revêtement de la pièce, les yeux plissés. Il tomba finalement sur Kaï, qui caressait le velours d'un fauteuil d'une main tremblante. Je fronçai alors les sourcils ; le vieux Roi n'était pas dans son état normal.

-Venez, je vais vous montrer vos chambres, déclara-t-il soudain, se tirant finalement de ses pensées pour nous attirer vers les grands escaliers.

L'étage se révéla être un long couloir sillonné d'une lumière jaunie sur les tapis de velours vert, émanant des élégantes lampes suspendues au plafond. Tandis que je laissais glisser ma paume sur le mur de bois lisse, savourant la sensation du parquet grinçant sous mes pieds, nous nous stopâmes face à une première porte. Kaï l'ouvrit et releva les yeux vers Sinna et Jeane :

-Vous dormirez ici.

Puis, laissant les deux jeunes femmes découvrir leur pièce, il nous amena George et moi vers une seconde porte qu'il fit grincer :

-Et vous deux, ici.

Je passai le seuil de la porte et découvris une pièce meublée de deux lits opposés, à côtés desquels une table de nuit et une armoire reposaient. Un chandelier qui semblait aussi vieux que Kaï planait au dessus de nos têtes, éclairant la pièce d'une faible lumière.

-Vous avez une salle de bain juste là, fit celui-ci en désignant du doigt une porte plaquée au mur de la chambre.

Le vieux Roi referma la porte pour nous laisser en paix, et George prit le premier lit qui vint, s'écroulant littéralement sur les draps propres.

-J'adore cette maison, grogna-t-il d'une voix étouffée par les couvertures.

Je me glissai quant à moi jusqu'au fond de la pièce, où je m'assis plus lentement sur le moelleux matelas. Les paroles d'Ashley résonnaient toujours contre les parois de mon crâne, m'arrachant un frisson de douleur intérieure. Se pourrait il qu'elle dise vrai ? Non, impossible.

Frustré et agacé de ces pensées, je me relevai et franchis la distance qui me séparait de la porte en quelques grands pas. Je l'ouvris d'un geste sec et pris soin de ne pas faire de bruit en la refermant. George ne broncha pas et ne posa aucune question, ce dont je lui en fut reconnaissant. Je me laissai alors glisser sur le parquet verni, me délecter de ses grincements qui m'occupaient l'esprit.

Ne pouvais je donc pas rester ainsi, à tournoyer bêtement au milieu d'un couloir silencieux ? Laisser la chaleur de la maison me donner l'illusion que j'avais enfin droit à une pause ?

Néanmoins, je me stoppai net ; mieux valait chasser cette idée avant d'être davantage écrasé par les déceptions. J'eus un long soupire, avant de pivoter lentement pour m'en retourner à ma chambre.

Je fis un pas en avant quand soudain, je me raidis. Le silence était brisé. Un air de mélodie me parvenait, étouffé par les murs. Je plissai les yeux, le cœur battant, et me dressai sur la pointe des pieds. Toute colère était effacée, tout comme ma frustration, et c'était la le principal.

Je me dirigeai alors lentement vers la source du bruit, dévalai les escaliers avec précaution pour pénétrer dans le couloir du rez-de-chaussée, de Kaï ne nous avait pas fait visiter. Je finis par me stopper à droite d'une porte grande ouverte et me penchai silencieusement.

Kaï était assis sur un majestueux lit double à baldaquin et faisait danser une délicate chaînette dorée devant ses yeux bleus humides. Il chantait doucement, d'une voix si belle que j'eus grande peine à croire que c'était la sienne :

-Je te promet le rêve quand l'espoir sera vain,

Tu verras,

Si ton regard a détruit ma vie,

Nos coeurs unis briserons les barrières ;

Je te promet mon soleil pour chasser tes nuages,

Tu verras,

Si tes pleurs font fondre ma joie,

Je dévêtirai ton ciel pour le peindre de rose ;

Je t'ai promis la clef des secrets de mon âme,

L'illusion du cadenas ouvert sur ta paume ;

Tu verras,

Si notre amour chassait ténèbres et doutes,

Je prendrai soin de l'amener à la mort.

Il fit glisser le médaillon sur sa paume et, la poitrine comprimée, réprima ses larmes pour se glisser sous les draps.

Quant à moi, j'étais davantage perdu. Je gisai désormais au beau milieu de ce couloir, l'esprit flottant dans un épais brouillard. Kaï avait une voix magnifique. C'était indéniable. Mais Kaï était amoureux. Ça aussi, c'était certain.

Les Mondes d'Enohr ; les Secrets de Kaï -Tome 3 Cycle 1 / Terminée /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant