Chapitre 29 : les Dangers du Dragon

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-Voilà, tout est dit, soupirai-je, les larmes aux yeux.

Faire ressurgir en moi le souvenir de la mort de ma mère et de mon père avait été plus difficile que je ne l'avais imaginé. Et désormais, un lourd silence pesait sur l'assemblée ; Nell était assise légèrement en retrait et me fixait d'un regard humide, comme dévasté.

Rogers, face à moi, n'était pas dans un meilleur état. Les coudes appuyés sur ses genoux, il contemplait le sol sans la moindre expression au visage. Sinna, assise à mes côtés prenait la main de Jeane, elle assise à sa droite. George, avachi sur une chaise au côté droit de cette dernière, gardait le menton bas.

-Comment se fait-il que nous n'ayons pas été prévenus ? murmura Rogers d'une voix lointaine.

J'eus une grimace mauvaise :

-D'abord parce que ce ne sont pas vos affaires. Et ensuite parce que vous n'avez pas à intervenir dans nos conflits.

A quelques mètres, Nell me jeta un regard noir :

-L'Ambassade doit être tenue au courant de tout les évènements importants, c'est pas une question d'Erkaïn ou quoi. Tous les Mondes doivent faire un compte rendu. C'est pour éviter une Guerre des Mondes, tu sais, ce dont tu m'as menacé toute à l'heure.

 Sinna coula un regard dans ma direction et me serra doucement le bras :

-C'est pas ta faute, murmura-t-elle d'une voix à peine audible.

Le cœur serré, je me dégageai de son étreinte et m'écartai malgré moi. Plus question de la laisser m'approcher. Pas alors que mon Dragon pourrait ressurgir à tout moment. Elle se raidit, offusquée, et se détourna. Je serrais les dents et croisai le regard de Nell, qui nous dévisageait. Nous nous fixâmes quelques secondes avant que Rogers ne daigne enfin prendre la parole :

-Alors vous ne savez toujours pas pourquoi est-ce que vous avez ce Don ?

Je levai les yeux au ciel, exaspéré :

-Je vous l'aurais dit, sinon.

-Nell s'y connaît bien, enchaîna le directeur en pivotant vers la jeune femme. Toutes les archives des Huit Mondes sont à l'Ambassade, vous trouverez forcément quelque chose là bas.

-Merci, Monsieur Rogers, fit George, reconnaissant.

-C'est mon devoir en tant que simple Enohrien. Un Roi de Phoenix ne doit être laissé seul et sans aide.

Ma gorge se noua et je changeai de position, mal à l'aise. Je n'aimais pas que l'on dise de moi que j'étais un Roi. Je n'avais en rien l'étoffe d'un chef.

-En revanche, je me demande ce que vous auriez fait si Nell ne vous avait pas trouvé, nous interrogea-t-il en esquissant un sourire en coin, amusé.

Je détournai aussitôt le regard ; il me rappelait bien trop Kaï, à sourire ainsi. Et je me refusai à penser à lui, aux armées que j'avais abandonné à Phoenix.

-Quand partons nous à l'Ambassade ? demanda George, qui semblait bien plus à l'aise que nous.

Il était visiblement plus opportun à prendre la parole entouré de politiques et de militaires que devant une secrétaire d'office du tourisme.

-L'avion sera là dans la soirée, lui répondit l'un des soldats qui entouraient le directeur.

Ce dernier s'éclaircit la gorge et son regard sauta entre George et moi :

-D'ailleurs, à ce propos... évitez de parler de ce que vous m'avez raconté lors de la réunion à l'Ambassade.

-Pourquoi ? répliqua vivement Jeane, sur la défensive.

Elle qui n'avait pas prit une seule fois la parole depuis le début, la voilà qui était prête à bondir sur Rogers. J'arquai un sourcil, stupéfait, et vit soudain sa main appuyée sur son flanc. Je manquai de m'étrangler : était-elle blessée ?!

-Les autres dirigeants sont un peu... grimaça Martin, réprimant un soupir.

-Paranoïaques, compléta Nell pour lui, visiblement agacée. C'est des trouillards.

Son supérieur lui décrocha un regard d'avertissement et elle masqua un sourire amusé. Mais cela ne semblait faire rire qu'elle.

-Si ils apprennent que vous possédez un Don, m'expliqua Rogers, les yeux levés au ciel quant au comportement de Nell, ils vous séquestrerons ou vous renverront aussitôt dans votre Monde.

-Vous parlerez pas non plus du... demanda Jeane, mais sa voix se brisa avant qu'elle ne put poursuivre.

Cette fois-ci, je fronçai les sourcils et échangeai un regard inquiet avec George. Quelque chose n'allait pas, c'était certain.

-De l'accident dans le hangar ? continua Rogers à sa place, visiblement lui aussi inquiet. Non, non, nous n'en parlerons pas, mais... Vous êtes sûrs que tout va bien ?

-Pas vraiment... lâcha Jeane, fébrile.

Son teint blafard et ses membres tremblants pouvaient le confirmer. Les yeux écarquillés, je la vis flancher et bondis dans sa direction. Elle tourna de l'œil et glissa de son dossier, directement au creux des bras de George, arrivé avant moi. Je le laissai la soulever, lui aussi soudain pâle. Il me jeta un regard étrange, qui me fit reculer d'un pas ; était-ce une forme de rancune, de pitié ?

Les militaires se précipitèrent auprès d'eux et Rogers sauta sur ses pieds :

-Elle doit voir un médecin, vite !

Le bras de la blessée glissa, dévoilant une profonde entaille sanguinolente. Sinna poussa un cri d'horreur et plaqua ses mains sur sa bouche, épouvantée. Elle me jeta un regard effaré, ce qui m'effraya davantage. Elle venait de voir quelque chose.

Une nausée me vint alors ; un détail m'avait échappé. Sa plaie était parsemée de pigments verts. Ceux qui s'échappaient de ma fourrure lorsque je libérai le Dragon.

-Par tous les Dieux... m'étranglai-je, titubant vers l'arrière.

George quitta précipitamment la salle sous les ordres de Rogers, qui le talonna. Sinna les accompagna, me jetant un bref regard désolé par dessus son épaule. Les doubles portent vomirent la marée de soldats et je tombai net assis sur une chaise, sonné.

Jeane n'avait rien dit. Elle était gravement blessée, presque mourante.

Et c'était de ma faute.

Les Mondes d'Enohr ; les Secrets de Kaï -Tome 3 Cycle 1 / Terminée /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant