Mes paupières s'ouvrirent délicatement, sans peine, et ce pour la première fois depuis mon arrivée à Enohria. Ma vision devint nette sans que j'eus à me secouer, et ainsi je pus contempler le plafond à mon bon plaisir. De délicates lignes brunes striaient la peinture et les reliefs blanc : il était apaisant de voir une structure propre et élégante au dessus de sa tête.
Je pouffai légèrement : cette pensée était digne d'un vieillard.Je ne voulais cependant pas me redresser. Je ne voulais pas affronter la réalité qui s'opposerait à moi à peine que mes pattes toucheraient le sol. Aussitôt, les souvenirs de mes parents morts et noyés dans leur propre sang me revint en mémoire. Je lâchai un soupire : leurs cadavres ne cesseraient donc jamais de me hanter. Je n'avais pas envie de penser à ça. Pour la première fois que mon esprit avait été vidé de tout sentiment d'horreur, d'impuissance ou de mal-être, je voulais davantage le prolonger.
Quitte à rester la journée allongé ainsi : de toute manière, mes muscles m'étaient bien trop douloureux et mes plaies n'étaient pas soignées.
-Alors, bien dormi ? grogna une voix qui me sembla lointaine.
Mon regard resta fixé sur le plafond, mais un semblant de sourire s'étira sur mes lèvres :
-Je crois que je n'avais jamais dormi de ma vie avant cette nuit.
Je perçus le rire de mon camarade de chambre, puis un long et profond soupire :
-Je suppose que toi aussi tu ne veux pas te lever.
Mais je n'eus pas la force de lui répondre.
-Mais il le faut... Et puis j'ai envie de visiter cette maison.
J'entendis le second lit grincer lorsque George se redressa. Il bailla puis, lentement, gagna la porte qu'il omit de refermer derrière lui.
Je peinais à comprendre comment est-ce qu'il pouvait encore trouver la force de se lever après tous les évènements de la veille. Peut être avait il depuis longtemps terminé le deuil de ses parents.Soudain, le parquet grinça une seconde fois et je fronçai les sourcils : qui venait de pénétrer dans notre chambre ? George faisait bien plus de bruits lorsqu'il se déplaçait.
-Allez, mon jeune ami, m'encouragea une voix qui me ramena brusquement à la réalité. Il faut se lever.
J'eus une soudaine envie d'hurler sur le vieux Roi : pourquoi venait il ainsi briser mes rares instants de répis ?!
-Je t'aurais bien laissé dormir mais...
Il eut un douloureux soupire, avant de poursuivre :
-On enterre les morts aujourd'hui. Tes parents partageront leur tombe et auront droit à une cérémonie à part.
Je fermai les yeux, la gorge soudain nouée. Non, non, non. Hors de question que je m'y rende. Nul besoin de m'offrir à nouveau le spectacle de leur mort.
-Je ne veux pas y aller, maugréai-je d'une voix brisée.
Kaï s'assit sur le lit, les épaules abaissées et le menton posé sur son bâton :
-Je t'ai même amené une chaise roulante.
-Je t'ai dis que je ne voulais pas y aller.
Il coula un regard triste dans ma direction :
-Pourquoi ? Tes parents ne méritent pas un dernier hommage ?
Je serrais les dents. Il ne comprenait pas.
-C'est facile pour toi, feulai-je, agacé. Tu ne sais rien de ce que je ressens. Tu refuses de comprendre que ça me ferais trop mal de les revoir.
S'il ne cilla pas, je vis cependant un muscle de sa mâchoire se contracter.
-Allez, j'ai besoin de toi, insista-t-il en me tapotant l'épaule.
Mais je restai parfaitement immobile, déterminé à rester couché ainsi.
-De nouvelles armées arrivent aujourd'hui, poursuivit le Roi, déterminé. Il faut que tu les rencontres.
-Dis plutôt que ce sont eux qui veulent me voir, raillai-je, les moustaches agitées.
La vieille tortue pouffa :
-Pas faux. Mais celui qui arrive dans une dizaine de minutes est le plus important. Tu dois le voir et lui parler.
Il laissa un silence s'installer, histoire de me faire méditer ses paroles, avant d'ajouter :
-Tes parents n'auraient pas voulu que tu le rencontres, mais il le faut bien.
Je virai subitement mon regard vers Kaï ; il avait réussi à piquer ma curiosité, mais surtout mon inquiétude. Il y avait quelque chose qui se masquait là, qu'on m'avait encore caché. La vieille Tortue se releva, étira ses muscles avec une grimace de douleur et soupira :
-Certains secrets ne peuvent plus être masqués. Pas alors que Phoenix est en pleine chute libre et que le seul qui puisse le rattraper avant qu'il ne s'écrase ne connaît toujours rien de ses origines. Ne sais toujours pas qui il est réellement...
Il pointa ma poitrine et plongea son regard azur dans le mien :
-Là, au fond de lui.
Je lâchai un lourd grognement et me relevai avec une grimace de douleur :
-Ok, c'est bon, voilà, tu as gagné ! feulai-je, alors que ma fourrure brûlée et arrachée se hérissait de frustration.
Kaï me connaissait trop bien. Il savait comment me tirer du lit. Mais je ne pus m'empêcher de déglutir ; j'espérais au moins qu'il avait exagéré ses paroles. Que je sois épargné de ces nouvelles horribles vérités.
J'eus un gémissement de douleur, et le vieux Roi m'aida à m'installer sur la chaise roulante. Une fois confortablement assis, il étendit une couverture sur mes pattes frêles et empoigna les manches de la chaise. Tandis qu'il me poussait à l'extérieur de la pièce, il me serra tendrement l'épaule et me murmura à l'oreille :
-Ne t'en fais pas, je resterai avec toi. Je ne t'abandonnerai pas.
Mais au lieu de me rassurer, ses paroles me firent l'effet d'un seau d'eau glacé sur la truffe. Et alors que nous étions de nouveau en marche, mon coeur s'affola.
Je craignais désormais le pire.
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Les Mondes d'Enohr ; les Secrets de Kaï -Tome 3 Cycle 1 / Terminée /
Fantasía⚠️Corrections en cours⚠️ (Lire le chapitre d'avertissement avant la lecture) *********** [Tome 3 de la Saga des Mondes d'Enohr] *********** Une Prophétie est née. Une Guerre a éclaté. Le Panda-Roux pourra-t-il tous les sauver ? Alors que Kenfu et s...