Chapitre 11 : le Grand Général de guerre (non corrigé)

11 3 14
                                    

Lorsque la navette nous déposa sur la grande place sablonneuse, je fus surpris de constater qu'une allée d'honneur s'était dressée pour nous devant la porte. A l'aide de plusieurs soldats, ils parvinrent à déposer ma chaise roulante au sol sans m'infliger trop de douleurs. Kaï empoigna les manches de cette dernière et me poussa au milieu des rangées d'hommes et femmes au garde-à-vous, le menton relevé, droits et raides.

Nous nous stoppâmes à l'extrémité de la haie d'honneur, où seul le silence accueillit notre majestueuse arrivée.

-Où sont George et Jeane ? murmurai-je, comme mal à l'aise de le briser.

-Ils sont restés au château, me souffla le Roi en se penchant sur moi pour me murmurer à l'oreille. Il vaut mieux pour le moment.

Sa remarque me fit froncer les sourcils, mais je ne préférai ne rien dire. Il valait mieux ne pas déclencher une dispute maintenant.

Il eut quelques secondes d'attente, où mes doigts finirent par pianoter sur les accoudoirs de la chaise, impatients. Qu'attendions-nous, ainsi ? Ne devait-il donc pas avoir l'enterrement de mes parents ? A cette pensée, ma gorge se serra et mes pattes se crispèrent. L'image du cadavre d'Aïru me revint en mémoire ; l'éclat d'obus enfoncé au creux de son ventre, les larmes qui roulaient sur ses joues, et la douce mélodie qui avait tristement quitté mes lèvres. Elle demeurait toujours le fond de l'environnement, comme une boucle infinie. J'étais maudit de l'entendre ainsi me narguer et pourtant, elle m'était si chère. De la joie à la souffrance, de la vie à la mort ; la recherche du bonheur était éternelle. L'amour avait beau être présent, jamais il ne pourrait combler ce manque sourires, de rires. Cette étincelle de joie au creux du ventre, tristement éteinte par les eaux glacées de la guerre.

Soudain, de lourds pas se firent entendre et je sursautai violement ; Kaï posa une patte rassurante sur mon épaule, tandis qu'à une dizaine de mètres, d'imposantes silhouettes alignées approchaient. Elles avaient à la main un puissant sceptre qu'elles faisaient claquer au sol uniformément, comme une seule créature, m'arrachant un sursaut à chaque bruit sonore qu'elles provoquaient.

C'est alors que se dressa face à nous des légions entières d'hommes et femmes pourvus d'immenses ailes, dont les cornes arabesques s'élevaient vers le ciel. Ils se stoppèrent à notre niveau, et l'envie me prit subitement de me mettre à genoux pour me prosterner à leurs pieds.

-Astrelliens, s'inclina Kaï, le ton empli de respects.

Je balayai d'un regard tremblant les silhouettes, profondément impressionné par l'aura majestueuse qu'elles dégageaient. Si leurs yeux totalement noirs et leur nez en crochet, ressemblant fortement au bec d'un hibou paraissaient laids et effrayants, l'ensemble de leur carrure forçait l'admiration et le respect. Ils se dressaient droitement, fièrement, sagement. Leurs longs cheveux de plumes semblaient si soyeux, tandis que leur épaisse poitrine témoignait de leur musculature sans pareille.

Les Astrelliens étaient de nature sage et pacifiste ; cela était profondément ancré dans leurs gènes. Ils lisaient l'avenir parmi les étoiles mais n'en demeuraient pas moins de redoutables combattants, bien qu'ils ne participaient jamais aux batailles.

C'était pour cette dernière raison que leur venue me surprenait tant. Avaient-ils rejoint notre alliance ?!

L'Astrellien en tête des troupes s'avança et eut un aimable sourire en serrant la patte chaleureuse que Kaï lui tendit :

-Mon vieil ami, fit-il d'une voix sage. Voilà longtemps que le destin de nous avait pas réuni pour combattre à nouveau côte à côte.

-Vous avez déjà combattu ensemble ? répétai-je, interloqué.

Mais ni l'un ni l'autre ne tournèrent le regard vers moi.

-Où est passé le Grand Général de guerre que j'ai connu ? pouffa l'Astrellien en arquant un sourcil moqueur.

J'écarquillai les yeux ; je savais que Kaï avait par le passé été un puissant guerrier et meneur de troupes, mais général de guerre...

-Kaï a perdu la patte, repris l'homme ailé en bifurquant enfin vers moi. Tu l'aurais vu sur un champ de bataille... Il savait comment motiver les siens. Il savait leur donner une raison de se battre. Il gagnait toujours, oh ça oui ! Et c'est sans parler de sa stratégie militaire ! Il avait le don de développer des plans tous plus originaux les uns que les autres... Magnifique. Tout simplement admirable.

Kaï eut un sourire amusé mais lui décrocha cependant un regard de reproches, tandis que mes yeux abasourdis sautaient de l'un à l'autre, incapables de croire ce que racontait l'Astrellien.

-Merci d'avoir accepté de venir, fit le vieux Roi pour changer de sujet.

-Tu sais bien pourquoi, rétorqua l'autre, son sourire évanouit.

Un silence pesant tomba brusquement sur la conversation, et mon pelage se hérissa ; les tensions étaient subitement montées.

-Tu ne me fais toujours pas confiance, n'est-ce pas, Gnad ? devina Kaï, son regard planté dans celui du chef Astrellien.

Ce dernier hocha durement la tête :

-En effet. Et je pense que tu en connais la raison.

J'eus grande peine à ne pas feuler sur la vieille tortue ; voilà quelque chose qu'il avait probablement "omis" de me dire. Un secret qui n'était sûrement pas encore prêt à être révélé.

-Pourquoi être venu, alors ? lançai-je, agacé de ces mensonges masqués.

Le chef ailé coula un regard dans ma direction :

-Comme tu dois le savoir, nous autres Astrelliens sommes dotés du don de lire dans les étoiles ; mais pas uniquement. Vois-tu, nous sommes capables de lire l'âme de chacune des créatures, ainsi que les raisons, justes ou mauvaises, qui les poussent à faire un quelconque choix. Tu imagines sûrement le nombre considérable de personnes dont l'âme est entre le Bien et le Mal qu'il doit ; ainsi, nous sommes la voix qui donne à un être son état d'âme. Et Kaï...

Il reporta son regard sur ce dernier, qui le laissa poursuivre :

-Dès l'instant où j'ai rencontré Kaï, il y a de cela cinquante ans environ, j'ai su qu'il était bon. Il agit pour une cause plus grande, même immense, que même moi n'est pas capable de cerner. Je sais simplement que le destin veut que je lui fasse confiance, même si ce n'est pas le cas. Le destin souhaite que mes légions et moi nous engagions aux côtés de Kaï... Malgré tous les défauts qui le suivent et les sombres erreurs qu'il a pu commettre par le passé.

Je fus saisi d'un frisson d'effroi ; ainsi je pensai juste. Kaï n'était pas innocent... J'ouvris la gueule pour poser une nouvelle question quand la terre se mit brutalement à trembler.

Kaï agrippa ma chaise d'instinct, et les Astrelliens dégainèrent leurs sabres d'un même geste. Nous nous tournâmes vers l'origine des tremblements et firent face à l'autre extrémité de la clairière. Tandis que mes muscles se bandaient, prêts à agir, une immense silhouette déboula à l'entrée, une armée entière sur ses talons. Il agita ses moustaches et écarta en grand ses pattes, étalant un sourire fou sur ses lèvres.

Ses yeux verts émeraudes s'écarquillèrent et il rugit :

-Les enfants, papi est de retour !

Les Mondes d'Enohr ; les Secrets de Kaï -Tome 3 Cycle 1 / Terminée /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant