Chapitre 15 : Secrets révélés (non corrigé)

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Hésitant, je fus tenté d'aller à la page quatre pour découvrir la grande force qui me rendait en esclave, mais je préférai poursuivre mes recherches en tournant à nouveau les pages d'un rythme cependant plus pressé.

-Tu n'as pas vraiment aimé ce que tu as lu, on dirait, me souffla Kaï d'une voix compatissante.

Je préférai ne rien répondre. Il valait mieux si je ne voulais pas à nouveau verser des larmes. Non, non, je devais cesser de pleurer à chaque nouvelle révélation qui m'était faite. Mais ma gorge était déjà serrée de douleur, ma mâchoire crispée.

-Merci de me l'avoir montré, fis-je d'une voix rauque, d'où perçait un sanglot étouffé.

Il garda son regard azur planté sur le mien mais préféra garder le silence. Je ravalai mes larmes et continuai à tourner les pages sans émettre le moindre mot. Une minute durant, seul le frottement du papier sur mes doigts tremblant se fit entendre, jusqu'à l'instant où le Roi se décida à prendre la parole :

-Tu n'as rien appris que ce que tu ne savais déjà, me rappela-t-il.

J'haussai les épaules. Il disait probablement vrai ; après tout, même si je n'avais jamais eu la preuve écrite sous les yeux, j'avais toujours su que je ne pourrais jamais y remédier. Que j'étais prisonnier de ce destin, de cette volonté plus grande qui me menait toujours là où elle voulait que je sois. Peut-être était-ce pour une cause plus noble, plus grande, et que je n'étais tout simplement pas capable de la comprendre.

Pour la seconde fois, ma main s'arrêta sur un nouveau titre, et je relevai aussitôt le menton vers Kaï :

-Les Âmes Sœurs ?

Il eut un sourire taquin :

-Ca, ça t'intéresse.

Je lui lançai un regard noir et baissai les yeux vers les petits paragraphes. Je me demandai alors si cela était vraiment possible. Si quelque part dans ce monde deux personne étaient Âmes Sœurs.

-Il n'y a pas de mal à aimer, mon jeune ami, me rassura-t-il, plus doux. C'est même rassurant de savoir que son cœur est capable d'amour.

J'eus une grimace :

-Je ne suis pas de cet avis.

-Pourquoi ?

J'haussai les épaules :

-L'amour met en péril la relation stable de deux personnes. Pire encore, il les met toutes les deux en danger car elles chercheront à tous prix à se sacrifier l'une pour l'autre. Il détruit des milliers de vies.

Silence.

Kaï gardait les yeux rivés sur ses pieds, l'expression crispée. Il semblait soudain de mon avis.

-Toi aussi, tu as aimé, n'est-ce pas ? murmurai-je, les yeux plissés.

Il eut un sourire triste :

-J'aime toujours, mon ami. J'aime toujours, et c'est ça le plus douloureux.

J'eus soudain un frisson. Alors c'était vrai. Kaï était amoureux. Puis, je me souvins de la Princesse Eleya, son nom donné à l'Ile que la vieille Tortue aurait dû habiter sans la guerre. Se pourrait-il que... ?

-Tu n'as pas trouvé la relation la plus simple, pouffai-je, toute colère oubliée.

Il pouffa à son tour :

-Non, en effet.

-Combien de temps ça a duré ? Avant que son père ne découvre votre liaison, je veux dire.

Mais à ma plus grande surprise, il secoua négativement la tête :

-Il ne l'a jamais découvert.

-Mais alors, comment...

-C'est moi qui suis parti, me coupa-t-il, la voix douloureuse. Je n'avais pas le choix.

Il eut un long silence. Pourquoi ne disait-il plus rien ? Je voulais connaître son histoire. Je voulais savoir pourquoi est-ce qu'il était tant tourmenté. Tant chargé de regrets, de douleurs.

-Je veux savoir, Kaï, soufflai-je. Raconte moi ce qu'il s'est passé. Depuis le début.

Il prit une grande inspiration, hésitant, et releva le regard dans ma direction. Après quelques secondes de silence, il finit par se passer la main sur le visage pour ensuite commencer son récit :

-Je me suis engagé tôt dans l'armée. Je devais avoir... Seize ans ? Je suis très vite monté en grade et à l'âge de vingt-cinq ans, j'étais général en chef de légions entières. J'étais doué. Très doué. Tu te doutes bien comment : mon Don. Je voyais l'avenir et connaissais chacune des réactions ennemies.

Il eut un grimace coupable :

-Mais il y a quelque chose qui n'est pas dû à mon Don. En effet, je savais mentir. Je savais manipuler à ma guise. Le Roi Erkaïn, ton arrière-grand-père, m'a envoyé sur Changer en tant qu'espion. Il en avait déjà envoyé une dizaine avant moi et ils étaient tous des professionnels, fondus dans l'ombre, impossibles à dénicher. Mais à l'inverse d'eux, j'ai préféré me présenter directement au Roi comme un vagabond aisé qui aimait découvrir de nouveaux territoires. Il m'a tout de suite apprécié et m'a même invité à son traditionnel bal d'hiver. Ce serait mentir que de te dire que je n'avais rien prévu de tout cela : je savais exactement ce qui allait arriver. J'avais aussi prévu de me lier d'amitié avec la Princesse Eleya, pour me rapprocher le plus possible des informations que souhaitait acquérir mon Roi. Mais...

Il hésita un instant, crispé, et je l'encourageai à poursuivre :

-Mais ça ne c'est visiblement pas passé comme prévu.

-Oui. L'amour est si imprévisible que même un Voyageur ne peut pas le voir venir. C'est là que les ennuis de ma vie entière ont commencé. J'étais terriblement amoureux. A un point que tu ne peux imaginer. J'étais prêt à mourir pour elle. Un instant, j'avais oublié que j'étais une marionnette du destin et de la Force Mère. J'avais oublié ce qui allait fatalement arriver. Les autres espions ont rapporté que le Roi Changer prévoyait d'envahir Erkaïn. Mon propre Roi a prit la décision précipitée d'agir avant lui ; il a rappelé son plus grand général à sa terre natale. Et la lettre a finit dans les mains d'Eleya avant que je ne puisse moi-même la lire. Je suis retournée à Erkaïn pour mener une stratégie avec mon Roi. Elle n'a rien dit, rien révélé à personne de ce qu'elle avait lu. Et moi... Moi, et bien... J'étais au fond du trou, comme on peut dire. Je ne mangeai plus, ne dormais plus. Avant elle, j'étais arrogant, inconscient, fier de ce Don que j'avais car il me menait là où je voulais. Je pouvais être la créature la plus riche de tout Phoenix. Mais après elle, après mon départ, tout s'est écroulé. J'ai compris. J'ai compris que je ne décidai de rien. Neuf mois plus tard, Eleya s'est jetée du haut de sa tour.

Les larmes me montèrent aux yeux, tandis que Kaï étouffait un sanglot :

-J'ai essayé. J'ai essayé des centaines de fois de la ramener. De trouver une solution. De revenir en arrière, encore et encore, mais je ne pouvais rien y faire. Cela devait arriver. Ensuite, j'ai essayé de mettre fin à mes jours à mon tour. Encore et encore. Mais un Voyageur ne peut pas mourir de sa propre volonté. S'il se tue, il revient aussitôt en arrière. Comme une boucle temporelle infinie. Je crois que j'ai refait soixante-sept fois la même journée à tenter de m'abattre avant que je ne comprenne que je ne pouvais rien y faire. Deux mois plus tard, j'envahissais Changer. Et après dix ans de guerre incessante, de meurtres et batailles menées avec un coup d'avance à chaque fois, je n'avais plus d'âme. Plus de cœur. Je ne voyais plus, je n'entendais plus, je ne respirai plus. J'étais comme mort. Le sort qui m'était réservé était pire que la mort. La veille de la signature du traité de paix, j'ai assassiné le Roi Erkaïn et, conforme aux règles de ce Monde, j'ai pris sa place. Je suis monté sur le Trône de Phoenix.

Les Mondes d'Enohr ; les Secrets de Kaï -Tome 3 Cycle 1 / Terminée /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant