Les Mondes d'Enohr ; les Secrets de Kaï -Tome 3 Cycle 1 / Terminée /

Chapitre 4 : L'Ile d'Eleya (non corrigé)

Je tombai assis au sol, le choc me coupant brutalement la respiration. Jack et Bört, morts. Mutilés comme ils étaient, il me semblait évident que leur avion se soit craché.

Au moins étaient-ils morts ensemble. Au combat, comme ils l'avaient toujours souhaité, fiers et loyaux, comme ils l'avaient toujours étés.

-Jack était un ami de ta mère, souffla Kaï, et j'écarquillai les yeux à ses paroles. Tu le savais ?

J'eus une grimace :

-Comment voulais-tu que je le sache ?! crachai-je, méprisant. Je te rappelle que c'est ta faute si mon père nous a abandonné. Et ma mère refusait de me parler de sa vie avant lui. A croire qu'elle n'en avait pas. Et tout ça à cause de qui ?!

Je coulai un regard haineux vers le vieil homme et vit sa mâchoire crispée ; retenait-il ses sanglots ? Cependant, je n'avais aucune pitié pour lui. Il méritait mes paroles.

-Aïru était mon meilleur ami, souffla Kaï d'une voix à peine audible. Je suis conscient d'avoir été le pire ami qu'il soit, cependant il a toujours accepté mon défaut. Celui d'être un Voyageur.

-Mon père savait ?! m'étranglai-je, oubliant un instant les deux dépouilles face à moi.

Le vieil homme opina du chef :

-Oui. Il a même été le premier à qui je l'ai révélé. Ensuite est venu ta mère, puis toi...

-C'est de famille, on dirait, raillai-je, sarcastique.

Il baissa les yeux, et je reportai mon regard sur les deux soldats. Ces deux là allaient me manquer. Je songeai alors au fait que je ne savais absolument rien d'eux : à mes yeux, ils avaient toujours été Jack et Bört, Bört et Jack, les deux inséparables soldats optimistes et courageux. Autrement, je n'avais jamais rien su de leur vie. Avaient-ils des proches, quelque part, qui les pleurait en silence ? Ma gorge se serra ; ou bien étaient-ils orphelin, comme moi désormais ?

A présent, où pouvais-je bien aller ? La guerre était-elle terminée, maintenant que les Changers et leurs alliés avaient pris possession de Stellarium ?

-J'ai le droit de demander où on va ? sifflai-je entre mes dents, ne savant trop comment poser la question.

-Sur l'Ile d'Eleya, mon jeune ami, déclara Kaï, plus calme mais comme submergé de chagrin à ces paroles. Je l'ai acheté il y a des années maintenant. 

-Et vous achetez souvent des Iles comme ça ? railla une voix, moqueuse.

Je relevai subitement le nez, surpris, et vis Jeane et George sur le seuil de la cabine. La jeune femme planta ses iris violets dans les miens et son sourire s'évanouit pour se mouvoir en une grimace coupable.

-On est désolé, le chat, minauda George d'une petite voix, qui contrastait étrangement avec son imposante carrure.

J'eus un faible sourire : j'avais oublié que George était un froussard dans l'âme.

-J'ai comme l'impression que vous passez votre vie à être désolé, soupirai-je, leur accordant néanmoins un regard reconnaissant.

Ils semblèrent rassurés et se joignirent à moi dans la pièce.

-Vous disiez... ? souffla George au vieux Roi pour l'encourager à poursuivre.

-Vous avez acheté une Ile il y a des années... lui rappela Jeane.

Kaï eut un faible sourire et se redressa sur sa chaise :

-En effet. J'avais pour projet d'y habiter, mais il y a eu la guerre, alors... Je l'ai abandonnée. Puis, il y a maintenant cinq ans, j'y ai fait bâtir une base militaire.

-Attendez, le coupai-je, les dents serrées. Tu es en train de nous dire que les tensions entre les Iles étaient déjà hautes il y a cinq ans ?!

Mes deux meilleurs amis me fixèrent un instant, interdits, et Kaï répliqua doucement :

-Les tensions sont hautes depuis la fin de la Première Guerre des Trônes, mon ami.

Le regard de Jeane et George se porta à nouveau sur moi, et j'arquai un sourcil : ces deux là avaient l'air de suivre un match de tennis Enohrien.

-Pourquoi est-ce que le peuple n'est jamais mis au courant de rien ? m'emportai-je, indigné.

-Diriger est plus compliqué que ce que tu ne le penses. Tu as pensé à la panique, aux révolutions et rebellions qu'il y aurait si on le faisait ? On aurait déclenché une Deuxième Guerre des Trônes rien qu'en annonçant les tensions qu'il y avait.

Je plissai les yeux et me renfrognai : je savais qu'il disait vrai, mais cela restait néanmoins injuste.

-Kaï... commença George, comme intimidé devant le Roi.

Je pivotai vers mon ami ; qu'allait-il encore sortir comme bêtise ?

-Si je me souviens bien, poursuivit le jeune homme, tout aussi perplexe que timide, Eleya était le nom de la Princesse Changer pendant la Première Guerre des Trônes...

Du coin de l'œil, je vis le vieux Roi se raidir.

-... Vous savez, celle qui a donné naissance à deux jumeaux et dont personne n'a jamais connu le père, expliqua George devant nos mines impassibles. Celle qui s'est suicidée après que...

-Oui oui, je sais qui s'est, le coupa brutalement Kaï.

-L'Ile s'appelait déjà comme ça quand tu l'as acheté ? demandai-je d'une voix sèche, méfiant.

Le vieil homme hocha vivement la tête :

-Oui, oui.

Puis, sans perdre un instant, il se leva et nous ordonna de le suivre :

-Nous accostons bientôt. Il faut monter au pont pour aider le déchargement.

Puis, pressé, il quitta la pièce sous nos regards hébétés. Cependant, je savais désormais une chose : si Kaï semblait être expert du mensonge habituellement, cette fois-ci il s'était bien trahit. Ainsi, il avait connu la princesse : c'était certain. J'étais à peu près persuadé que c'était lui qui avait donné à l'île son nom.

Je soupirai avant de me lever, et songeai au fait qu'en vérité, je ne connaissais rien de Kaï. Quelque chose me disait que ce n'était pas pour rien qu'il gardait son passé secret...