Chapitre 16 : Une ère nouvelle (non corrigé)

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J'ouvris les portes vitrées, et le vent qui me fouetta brusquement le visage m'arracha un frisson. Kaï me devança sur le balcon, le regard perdu sur l'océan qui s'étalait devant nous, tel un immense tapis bleu aux reflets d'or. Le soleil entamait à peine son chemin dans le ciel d'azur, ainsi ses rayons nous frappaient d'une lueur chaude.

Je m'accoudai à la balustrade, aux côtés du vieil homme. Ses cheveux se balançaient doucement au gré du vent, tandis que ses yeux bleu azur plissés sous la lumière fixaient un point au loin, dont seul lui semblait se souvenir.

-Qu'aurais-tu fait, si il n'y avait pas eu la guerre ? me demanda-t-il d'une voix lointaine.

Surpris par sa question, je pris quelques secondes avant de répondre. Je ne m'étais jamais posé la question à vrai dire. Tandis que ma gorge se serrait à cette pensée, je pris une longue et grande bouffée d'air, ce qui m'apaisa :

-Je ne sais pas. Peut-être que je serais allé vers le bâtiment, dans l'architecture... J'en sais rien en fait. Tout aurait été différent.

Il eut un silence, avant que je souffle d'une voix terne :

-J'ai beaucoup changé en un an.

Kaï coula enfin un regard dans ma direction :

-N'aie pas peur de l'avenir, mon jeune ami. Il ne te fera aucun mal.

J'arquai un sourcil :

-Je n'en suis pas sûr.

-Le malheur nous plonge dans le noir, dans l'obscurité totale. Il fait si sombre que même l'œil le plus aiguisé ne peut y décerner la moindre lueur. Mais l'espoir, lui, n'a pas besoin de lumière pour vivre.

Et sur ses mots, il pointa ma poitrine, un faible sourire aux lèvres :

-Il reste toujours là. Et c'est de là que la lumière jaillit.

-Je ne comprends pas le rapport avec la peur de l'avenir, lâchai-je, désespéré.

Pourquoi fallait-il toujours qu'il s'exprime par le biais de phrases philosophiques ?

-Je veux dire par là que quand l'obscurité est la plus totale, la moindre petite étincelle qui nous apparaît nous remplit d'une joie immense. Alors que si nous vivions continuellement sous le soleil, personne ne connaîtrait cette joie.

-Alors, quand tout sera fini, je serais heureux parce que toute ma vie j'aurais souffert ? Ce n'est pas très encourageant.

Il sourit :

-Je sais que ça te rassure, même si tu dis le contraire. Tu vas réussir ta vie, et tu seras heureux. Et mieux encore, tu auras sauvé des milliards de milliards de gens avec ça.

Je baissai les yeux, davantage dépité. Kaï disait vrai : au moins vivrai-je heureux à la fin. Mais combien de temps faudrait-il attendre avant que cela n'arrive ? Avant qu'enfin, toute charge de l'univers entier soit ôté de mes frêles épaules ?

Le silence s'installa quelques minutes durant. Je me demandai alors quelle nouvelle question pourrais-je poser au Roi, avant qu'il ne se résigne à tout m'avouer. Je finis par déclarer, levant les yeux vers lui :

-Et toi, tu aurais fait quoi ? Si tu n'avais pas été Voyageur.

Ma question raviva un sourire sur ses lèvres, et il me jeta un regard complice :

-J'aurais probablement joué du piano, ou de la guitare. J'aurais chanté mes compositions.

-Chanteur ? feignai-je la surprise, le souvenir de la veille me revenant en mémoire.

Il s'esclaffa, et j'enchaînai :

-Tu aurais voulu avoir des enfants ?

Cependant, son rire se mua en un faible sourire triste, et il haussa les épaules sans toutefois répondre.

-Tu en as déjà ? m'étouffai-je, ahuri.

Mais il secoua négativement la tête :

-Je ne peux rien te dire. Mais ne crois pas que ce soit vrai parce que je te dis ça.

Je plissai les yeux, mais à l'instant où je m'apprêtai à répliquer, il me devança :

-Et toi, dis moi, tu voudrais avoir des enfants ?

J'écarquillai les yeux, horrifié à cette pensée :

-Jamais de la vie.

Malgré tous ses sacrifices, Aïru n'avait pas été un bon père. Si son sang coulait dans le mien, alors j'étais probablement destiné à en devenir un. Qu'importe le sang, de toute manière : le seul fait de prendre le risque de donner à mon enfant mon Don maudit ferait de moi un père cruel et égoïste. Comme si je ne l'étais pas déjà suffisamment.

-On verra bien, laissa tomber le vieux Roi.

Un sourire en coin s'étira sur ses lèvres, et mon cœur manqua un battement. Kaï lisait l'avenir.

-Ne me dis pas que...

Il haussa les épaules, tout sourire, promenant tranquillement son regard sur l'horizon. Quant à moi, mon rythme cardiaque s'affolait : allais-je réellement avoir des enfants ?! Impossible. Je devais empêcher cela. Je ne devais pas laisser le destin me faire père... A cette pensée, j'eus un long frisson, épouvanté. La peur me paralysait toujours, mais je parvins à articuler :

-Kaï, il ne faut pas... Je ne dois pas avoir d'enfants... Surtout pas...

Je fus alors pris de vertiges, soudain tremblant. Le vieux Roi m'agrippa solidement le bras et plongea son regard dans le mien, ce qui me ramena brusquement à la réalité.

-Je vais te montrer.

Il plaqua sa main valide sur mes yeux, et quelques secondes plus tard, de violentes secousses firent trembler l'air et les environs. Mes pieds quittèrent le sol, tandis que mes entrailles s'entortillaient follement. Le vent qui nous fouetta furieusement le visage était chargé d'une aura électrique : celle de la Magie.

La seconde d'après, une violente décharge nous secoua et le silence s'abattit. Seul demeuraient les tambours de mes battements fous de cœur, ainsi que ma respiration hachée et précipitée. L'affreuse envie de vomir me tenait l'estomac, mais la curiosité l'emporta. Kaï retira délicatement sa main et plaça lentement un doigt sur ses lèvres pour m'intimer le silence. J'hochai la tête, nauséeux, et balayai les alentours d'un regard plissé. Nous étions dans un étroit couloir faiblement éclairé, sillonné de fenêtres par lesquelles la nuit nous offrait son ciel constellé d'étoiles lumineuses. Face à nous, une immense vitre, qui donnait une vue sur une chambre d'hôpital. La lumière jaunie éclairait les lieux délicatement. Je vis que les draps du lit étaient défais, mais personne n'était couché. A sa droite, juste face à nous...

-Non d'une salamandre ! m'étranglai-je, épouvanté. C'est moi !

Kaï m'ignora ; un sourire ému s'était dessiné sur ses lèvres, et il ne détachait pas son regard de ma version plus âgée. Le cœur battant, je fis un pas en avant pour mieux distinguer mes traits. Je devais avoir la trentaine. Mais ça n'était pas le plus choquant. Mes yeux verts chargés de larmes étaient baissé vers une petite créature enroulée de couvertures, qui dormait paisiblement dans mes bras. Ma version âgée la serrait tendrement contre elle en fredonnant quelques notes.

A mon tour, les larmes me vinrent. Je tenais mon enfant dans mes bras. Je le savais, je le sentais, par tout l'amour du monde qui se lisait dans mes prunelles.

-Je vais être papa, murmurai-je, tout choc oublié.

Kaï me serra tendrement l'épaule et me frotta le dos, ému face aux deux visages larmoyants qu'il avait devant lui.

-Les temps changent, Kenfu, me souffla-t-il. Si le plus dur est à venir, n'oublie jamais que tu n'es pas seul. Tu es plus fort que tu ne le croies.

Les larmes roulèrent sur mes joues,  et pourtant, il ne restait plus de peur. Plus d'inquiétudes. Tout cela faisait partie du passé.

Désormais, l'heure était venue de me battre.



Les Mondes d'Enohr ; les Secrets de Kaï -Tome 3 Cycle 1 / Terminée /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant