Le Sentier

Chapitre 5 - Bonne nouvelle, mauvaise nouvelle

Le réveil avait un goût amer. J'avais peu dormi, et pas parce que je m'étais couché tard. Ce qu'il s'était passé hier soir, était-ce un rêve ? Je pris mon courage à deux mains et me dirigea vers mon armoire. J'ouvris un tiroir et sous une pile de caleçons, je la vis. La lettre. Ce n'était pas un mauvais rêve alors. Et je n'étais pas fou. Ce qui ne me rassura pas vraiment.

En descendant en direction de la cuisine, je dû paraître en forme pour ne pas montrer à mon père que j'avais, de un, joué assez tard et, de deux, que quelque chose me tourmentait. Le petit-déjeuner était déjà prêt, et les cafés déjà servis. J'avais faim ce matin, et mon père avait été chercher des viennoiseries. Je me demandais s'il avait dormi cette nuit.

"On fête quelque chose ?
— Salut Josh. Tiens, regarde."

Sur la table, il y avait un badge. Je le pris, et ne pu retenir un sourire. "Carl Grimm, directeur Assur'Rence".

"Putain Papa, t'as réussi ! Je suis trop fier de toi ! Merde alors, t'es directeur !
— Les gros mots Josh ! Bon, pour cette fois, je t'autorise. Tous ces mois passés à montrer que j'étais fait pour ce poste ont fini par payer. Si tu savais comme je suis soulagé. Ça va être dur au début, c'est sûr. Je vais devoir imposer mon management et mon autorité. C'est pour ça que j'ai invité l'équipe au resto, hier soir. Mettre les choses au clair, c'est important.
— Tu le mérites, vraiment. Et tu vas gérer j'en suis sûr.
— Merci beaucoup fiston. Je risque d'être pas mal pris les prochaines semaines, le temps de tout mettre en place.
— Ouais, normal t'en fais pas. Je passerai te voir si tu veux, comme ça je verrai ton nouveau super bureau. Tu dois avec un canapé dedans. T'as un canapé ?
— Chaque chose en son temps, Josh. J'ai déjà un badge, c'est bien aussi non ?"

On se mis à rire. J'étais honnête quand je disais que j'étais fier de lui. Malgré toutes les épreuves qu'il avait traversé, il avait réussi à s'en sortir, voyez par vous-mêmes.

Ce moment avec mon père m'avait fait du bien. J'en avais presque oublié qu'il fallait que je parte dans une heure.
Sur le chemin du lycée, l'idée de faire demi-tour me traversa l'esprit. Si je n'y allais pas, je ne verrai pas Wolf. Et si je ne voyais pas Wolf, je n'avais aucune raison d'être en danger. Non, c'est débile. Qu'est-ce qu'il pourrait bien avoir contre moi ? On ne se connaît même pas, on ne s'est même jamais croisés en dehors du lycée. Je n'avais rien de spécial, j'étais un ado banal, ni bête ni intelligent, ni beau ni moche.

J'arrivais un peu en avance, alors je pris mon téléphone et traîna dessus. Sur les réseaux, Maya avait partagé une photo d'elle et Jim en train de manger une glace. Elle avait l'air heureuse. Je ne pouvais pas lui en vouloir de l'être, après tout. Je ne sais même pas si ça aurait marché nous deux, de toute façon.

Je vis Jim arriver, les yeux rivés sur son téléphone, un sourire aux lèvres.

"Yo mec, ça va ?
— Salut. Fatigué, mais ça va.
— Ouais, m'en parle pas. Je suis resté au moins deux heures au tél avec Maya hier. On s'est racontés notre journée.
— Mh... tu commences par quel cours ?
— Anglais, avec ton prof, Rolf.
— Rolf ? Tu veux dire Wolf ?
— Ouais voilà.
— Petit conseil avec lui. Si tu veux parler, lève bien la main.
— Il est si terrible que ça ?
— Je sais pas, tu me diras ce que t'en penses. "

L'avis de Jim comptait beaucoup pour moi. Si lui aussi le trouvait bizarre, cela me rassurerait. Et s'il le trouvait normal ? Non, impossible.

Ma journée commençait par un cours de français. J'étais serein, ma copie n'était pas un copier-coller d'internet et j'avais même glissé quelques fautes pour que ça paraisse plus crédible. Je devrais m'en sortir avec au moins la moyenne sur ce devoir. On passa une partie de l'heure à voir des diapos de Paris, la prof en avait l'air vraiment dingue. C'est vrai que ça avait l'air beau, mais si cette ville ressemblait à la salle de cours, je n'étais pas sûr de vouloir y aller un jour. Trop c'est trop, comme on dit.
Lewis n'était pas là ce matin, et personne n'avait l'air de s'en soucier. Je n'ai même pas pensé à prendre son numéro hier, quel idiot. Peut-être qu'il n'avait pas fait son devoir et préférais tout simplement ne pas venir.

J'appréhendais l'après-midi. J'avais anglais avec Wolf. Il me fallait une stratégie pour l'observer, discrètement. Et il me fallait des infos sur lui aussi. Sans son prénom, ça allait être compliqué. Mais pas impossible.
À la pause du midi, plutôt que de sortir, j'allais à la bibliothèque et pris place sur un des postes informatique. J'ouvris une page internet, en prenant soin de regarder si personne ne se trouvait derrière moi. Je ne savais pas vraiment par où commencer.

"Moreland High School", voilà un début. En tapant le nom de l'école, j'espérais trouver une liste avec le nom de tous les professeurs. Bingo. Je descendis la page jusqu'à arriver au W. James Jr Wolf.
Autre page internet, autre recherche. Il me fallait savoir où il avait enseigné avant, et, avec un peu de chance, en apprendre sur sa vie. Rien. Aucun profil donnant sur ses réseaux (si tant est qu'il en ait), aucune photo non plus. J'allais quitter la page quand un titre d'article me donna des sueurs froides.

" James Wolf, le cannibale qui sévissait au début des années 1900 "

C'est comme si je m'étais pris un coup de massue derrière la tête. James Wolf ne pouvait pas être le père de Wolf Junior. Il avait à tout casser une quarantaine d'années. Ce devait être une sacrée coïncidence qu'un cannibale ait eu le même nom qu'un prof qui commençait à me terroriser.

La mise en garde de la lettre me revint en tête comme un boomerang. Je suis en danger. Quelqu'un dans cet établissement savait quelque chose, j'en étais maintenant convaincu. Il ne me restait plus qu'à trouver qui. L'espace d'un instant, je me dis qu'il fallait que j'en parle à Jim. Non, mauvaise idée. Si tout cela était vrai, je ne voulais pas qu'il y soit mêlé.
En quittant la bibliothèque, je cru voir une ombre disparaître derrière une étagère. "Tu deviens parano mon pauvre", me dis-je. Rien d'étonnant. Je n'avais repris les cours que depuis hier et je me retrouvais au cœur d'une histoire qui me dépassait. Mais surtout, dans laquelle je refusais d'être le personnage principal qui termine tué dans un bois et qu'on ne retrouvera jamais.

Mon dernier cours de l'après-midi était un cours de sport. Gymnastique. Un truc de fille, pour moi. Je me voyais mal porter un justaucorps en brandissant un ruban autour de moi. Et toujours pas la moindre trace de Lewis. Je trouvais ça surprenant car lui-même m'avait dit qu'il n'était intéressé que par les cours de sport. Je me risquais à poser la question à monsieur Chapman.

"Monsieur, vous savez pourquoi Lewis n'est pas là aujourd'hui ? Il adore le sport et je ne l'ai pas vu de la journée.
— Nan mon p'tit Joshua, j'en ai aucune foutue idée. Sûrement qu'il a fait la fête hier. ALLEZ, TOUS EN PLACE MES PETITES DANSEUSES. VOUS ALLEZ ME FAIRE TROIS TOURS DE GYMNASE AU PAS DE COURSE !"

Pendant que je courais, le gros titre que j'avais vu à la bibliothèque passa devant mes yeux et je manquais de tomber.

"On se concentre Grimm, t'en es qu'au premier tour !"

C'était le dernier cours de la journée et j'étais presque sûr de me réveiller avec des courbatures demain. Ce n'était peut-être pas juste un sport de fille finalement.