Chapitre 24 - Le Rédempteur

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La voiture de Tony était garée devant la maison de Charlotte. Il n'avait même pas pris la peine de se mettre une rue plus loin, ce qui m'étonnait. Était-il sûr de lui au point de prendre des risques inconsidérés ? Dans le quartier, sa voiture ne passait pas inaperçue. Elle était facilement repérable, et lui encore plus. Charlotte vivait seule, et j'étais sûr que ce n'était pas le genre de femme à rencarder des mecs comme Tony à onze heures du matin. Si les voisins étaient aux aguets, cela n'aurait pas paru bizarre que pour moi. Il fallait que je trouve une solution, et vite. Si quelqu'un arrivait et voulait voir Charlotte ? Si un gentil voisin, soucieux du bien-être de sa rue, voulait savoir qui était l'armoire à glace jamais vue auparavant qui était rentré chez elle ? Lui aussi aurait fini assommé, ou pire.

La porte d'entrée était entrouverte, mais je préférais passer par derrière, comme la dernière fois. Plus sûr. Et au moins, je pouvais escalader la petite palissade sans éveiller les soupçons. Je n'avais pas prévenu Tony de mon arrivée, et je doutais qu'Emma l'ait fait pour moi. Il fallait que je m'annonce, sous peine de finir comme Charlotte. Je m'approchais doucement, sans faire de bruit, et je me mis à toquer à plusieurs reprises de façon désaccordée, comme pour faire un code morse. Dans les films, ça fonctionnait. Mais là, nous n'étions pas dans un film et quand la porte s'ouvrit devant un Tony cagoulé braquant un couteau de cuisine à ma hauteur, mes pieds se dérobaient et je tombais à la renverse.

"Estúpido !
- Putain Tony, t'es malade !
- Rentre, magne toi.
- Personne t'as vu ?
- Dans la casa. Maintenant !"

Je me remis debout, maintenant couvert de terre. La pluie battait toujours à plein régime, et mon père allait gueuler si je rentrais dans cet état. On aurait dit un chien qui avait sauté dans une flaque boueuse, et qui était content de lui. Sauf que moi, je ne l'étais pas. Tony était déjà retourné à l'intérieur, sans même m'attendre. Je retirais mes chaussures qui faisaient floc floc à chaque pas, ne voulant pas salir l'intérieur d'une maison qui n'était pas la mienne. Tony était assis dans un fauteuil, un verre à la main, semblant détendu. Mes yeux parcouraient la pièce à la recherche d'une Charlotte introuvable.

"Tony, elle est où ?
- En haut. Elle dort.
- Elle... dort ?
- . Détends-toi, prends un verre.
- J'ai pas envie de prendre un verre ! On va faire comment quand elle va se réveiller ?!
- Ah... Elle ne dira rien.
- Comment tu peux en être aussi sûr ?
- Difficile de parler sans lengua.
- Q-q-quoi ?"

Je devais rêver, j'avais mal compris. Je n'étais pas des plus doués en espagnol, il ne pouvait pas m'avoir dit qu'il lui avait coupé la langue. Mais en regardant de plus près le couteau posé sur la table, avec lequel il m'avait accueilli, mes doutes se confirmaient peu à peu. Comment pouvait-il être aussi serein après avoir ôté l'organe de parole d'une femme dans la tourmente ? Je me sentais mal, j'avais des haut-le-cœur, j'allais vomir. Reprends-toi Josh, ça va aller. Tu vas y arriver.

"J-je... Faut que je monte la voir.
- Non.
- Quoi ?
- Elle t'a pas vu. T'es pas censé être là.
- Si. Je devais la voir aujourd'hui.
- Eh bien niño, t'auras qu'à faire comme si t'avais oublié. Je m'occupe du reste.
- Tu... tu lui as vraiment coupé la langue ?"

Tony ne me répondit pas, et me lança plutôt un sachet en plastique que j'eus du mal à rattraper. Ce qui se trouvait à l'intérieur finit de m'achever. Je n'avais jamais vu une langue d'aussi près, encore moins coupée et pleine de sang. J'étais proche de l'évier de la cuisine, et il se remplit bientôt des restes mélangés du café que j'avais bu et du croissant que j'avais mangé plus tôt et que je n'avais pas encore digéré.

"Tss. Rentre chez toi gamin, j'm'occupe d'elle." Incapable de lui répondre et les intestins retournés, je repris mes chaussures, et je repartis en faisant les mêmes floc floc que quand j'étais arrivé. Mon esprit avait quitté mon corps, j'étais comme en auto-pilote quand je me mis sur mon vélo et pédalais jusqu'à chez moi. J'étais incapable de penser, incapable de fermer les yeux, incapable de retirer ces images de ma tête. J'arrivais chez moi, et mon père n'était pas là. Il avait laissé une note sur la table, disant : "Je vais manger avec Linda, ne m'en veux pas. Je ne rentre pas tard. Je t'aime fiston." Même si je le voulais, je n'avais pas la force de lui en vouloir. J'étais vidé, énervé, à bout de nerfs.

À : Emma
Ton pote Tony, c'est un dégénéré. Je veux plus être mêlé à lui.

Je n'attendais pas particulièrement de réponse, mais celle que je reçus n'était pas la meilleure.

De : Emma
Je me fous de ce qu'il s'est passé, tant qu'on s'en sort. C'est pas le plus important ?
À : Emma
Il vient littéralement de couper la langue de Charlotte, Emma ! Tu te rends compte que c'est un putain de malade ?!
À : Emma
Il nous évite juste une merde monumentale. Si tu le connaissais comme je le connais, tu comprendrais.

Qu'est-ce qu'elle voulait dire par là ? Étaient-ils plus qu'amis ? Tony avait au moins trente ans, il ne pouvait pas... avec une mineure... Non, impossible. Enfin, plus rien ne m'étonnait au point où j'en étais. Je me remémorais les événements passés, quand mes pensées se focalisèrent sur l'homme qui nous avait aidés dans la forêt, avec Emma. Était-ce la mystérieuse personne qui avait déposé la lettre dans mon sac ? Il avait dit avoir pris un risque en nous aidant, qu'il n'avait pas le droit d'être là. Et surtout, que je savais qui il était. Tout concordait, mais il me manquait quelque chose. Quelque chose qui pourrait me permettre de dire avec précision s'il s'agit bien d'Edward.

Je pris place devant mon ordinateur, pianotant sans vraiment savoir quoi chercher. Je regardais des articles sur des événements qui avaient eu lieu à Fernwood, il y a longtemps ou plus récemment. Rien de bien nouveau, étonnant. Et si j'essayais de trouver des informations sur Tony-le-boucher ? Je cliquais sur des pages dans tous les sens, quand par miracle, une en particulier attira mon attention. C'était un article en espagnol, avec la photo de ce qui ressemblait à une prison. Mais ce n'était pas sur ça que je me focalisais, non. Un peu plus bas, au-delà de lignes incompréhensibles pour moi, il y avait la photo d'un homme. Ou plutôt devrais-je dire d'une armoire à glace. Je faillis ne pas le reconnaître dans son uniforme orange vif, la tête couverte de bleus. Tony. J'ouvris un traducteur dans un autre onglet, et y copia le texte.

Alerte à la population : un homme dangereux s'est échappé de notre prison. Il se nomme Tony Carillo, plus connu sous le nom de Rédempteur. Condamné à perpétuité pour crimes de premier et second degré, nous soupçonnons l'aide d'une autre personne dans son évasion. Tony avait pour habitude d'échanger par mails avec une américaine dont les données sont trop cryptées pour avoir la moindre information à son sujet. Nous pensons qu'il l'a rejoint, et qu'il n'est actuellement plus sur le territoire espagnol. Toute information sérieuse à son sujet sera récompensée.
Attention : il est extrêmement dangereux et ne reculera devant rien s'il se sent en danger. Alertez les autorités les plus proches, ne tentez rien par vos propres moyens.

Eh bah merde alors. Je n'arrivais même plus à être choqué ou étonné. Dès le début, j'avais eu un mauvais pressentiment à son sujet, et cela venait de se confirmer. Il avait rejoint une américaine après sa fuite... Ça ne pouvait être qu'Emma. Elle était douée en informatique, et il la protégeait comme une pierre précieuse. Qui sait ce qu'ils avaient manigancés ensemble depuis leur rencontre ? Qui sait s'il allaient s'en prendre à moi ? Non, ils l'auraient déjà fait. Enfin je crois. D'une certaine façon, Tony m'avait aidé avec Charlotte. Pas de la manière la plus conventionnelle, certes, mais... Devrais-je en parler à Emma ? Ou allait-elle prendre ça comme une attaque de ma part, un manque de confiance qui allait ruiner notre amitié naissante ?

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 19 ⏰

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