Le Sentier

Chapitre 9 - Un muet plutôt bavard

Le bus arrivait devant le lycée, et j'étais encore sous le choc. Mon intuition était donc bonne, Lewis se trouvait (ou du moins s'était bien trouvé) dans la forêt de Fernwood. Des questions m'assaillirent, auxquelles je ne pouvais pas répondre pour le moment. Quand, comment, et pourquoi. Voilà les trois premières réponses que je devais trouver. Lorsque le bus se gara, tout le monde descendit le sourire aux lèvres. Ils semblaient tous avoir déjà oublié qu'un de nos camarades avait disparu, camarade qui serait devenu un très bon ami avec le temps, j'en étais convaincu. Le cours de ce matin était le seul que nous avions de la journée, alors je décida de rentrer chez moi pour faire le point, seul, et au calme. 

Alors que je marchais en direction de la maison, je sentis mon téléphone vibrer. Je le sortis de ma poche et vis "Jim" s'afficher. Merde, on devait manger ensemble ce midi !

De : Jim
Yo mec, je t'attends, t'es où ?
À : Jim 
Désolé, je me sens pas très bien, je vais rentrer directement. M'en veux pas. Si ça va mieux, on remet ça à demain ?  
De : Jim
Nan, j'ai déjà dit à Maya que je la voyais pas ce midi pour être avec toi, on verra ça une autre fois

Pour le coup, je ne pouvais pas lui en vouloir, et j'avais une affaire plus importante que de me remplir le ventre de hot dogs qui m'attendait. Le trajet me paraissait durer une éternité et quand enfin j'atteignis le portail de chez moi, j'aperçus la voiture de mon père. Il était à peine treize heures, et il était déjà rentré. Pourtant, le mercredi, il n'était jamais là avant vingt heures. Et depuis l'obtention de son statut de directeur, je ne m'attendais pas à le voir avant au moins vingt-deux heures aujourd'hui. Lorsque j'ouvris le petit portique métallique qui donnait sur la cour, je vis une voiture que je ne connaissais pas. Il avait peut-être invité du monde pour fêter sa promotion avec des amis qu'il n'avait pas pu voir avant. Je pris ma clé, ouvrir la porte d'entrée, et vis ce qu'aucun enfant ne voudrait jamais voir : mon père était en train de chevaucher une femme sur le canapé du salon.

"Oh putain Josh ! Attends, rentre pas !
— Trop tard, je suis déjà là.
— Merde, Linda, couvre-toi s'il te plait. Et va dans la cuisine.
— C'est qui Linda ? Il se passe quoi ici ?
— Je voulais pas que tu l'apprennes comme ça, Josh... Attends un peu, j'arrive."

Linda, c'était pas celle qu'il avait demandé à voir en entretien en début de semaine ? Et elle était déjà à quatre pattes sur notre canapé ? Si elle voulait une promotion, elle savait s'y prendre. Je n'avais jamais vu mon père aussi rouge. Ses yeux imploraient le pardon, pendant qu'il tentait de reboutonner une chemise bleue froissée.

"Josh, fiston, écoute, ce n'est pas ce que tu crois. Linda est... Madame Grant est...
— Te fatigue pas, j'ai plus dix ans. Tu te tapes ta secrétaire, et ça fait trois ans que maman est morte. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? T'as le droit de te taper qui tu veux, mais si tu pouvais éviter de faire ça à l'endroit où je pose mes fesses, ça pourrait être cool.
— Je ne me tape pas n'importe qui, comme tu dis. Je connais Linda depuis quelques temps, elle cherchait un emploi et je me suis dit que..."

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que je contournais déjà la cuisine pour accéder aux escaliers menant à ma chambre. Je fis un signe de tête à Linda. Je devais l'avouer, c'était une belle femme. Brune, les cheveux mi-long, et décoiffée. Elle était emmitouflée dans le plaid qui habituellement se trouvait sur le canapé. Note à moi-même : ne plus l'utiliser avant lavage complet. Arrivé dans ma chambre, je contemplais le chaos que j'avais laissé se produire aux cours des dernières semaines. Deuxième note : un bon coup de ménage, ça fait jamais de mal.

Je pris mon téléphone, brancha mes écouteurs et lança ma playlist en aléatoire. En me jetant sur mon lit, je sentis des larmes me monter aux yeux. Pour une fois, je n'avais pas envie de les refouler. Il s'était passé tellement de choses ces trois derniers jours qu'il fallait que j'évacue. Un homme peut pleurer, un adolescent encore plus. Tout cela me semblait irréel et pourtant, je ne pouvais pas ne pas y croire. L'envie d'en parler à quelqu'un devenait de plus en plus forte. La mise en garde de la lettre était claire, mais si je gardais ça pour moi encore trop longtemps, j'allais finir par exploser.