Le Sentier

Chapitre 10 - L'Anonyme

J'entendis une voiture démarrer. Linda devait être en train de partir. Je ne savais pas quoi penser de cette relation. Bien sûr que mon père pouvait refaire sa vie, ou du moins commencer à rencontrer de nouvelles personnes. C'était humain, et je ne pouvais pas l'empêcher de vouloir être heureux à nouveau. Mais le voir à l'acte, dans notre salon.... Dégueulasse. Je me mis à penser à d'autres choses pour enlever cette image ignoble de ma tête ; des blagues qui m'avaient fait rire, une musique que j'aimais, des petits chatons mignons. Des chats. Chattes. Oh non, c'était encore pire. Je secouais la tête quand j'entendis frapper à la porte de ma chambre.

"Je peux entrer Josh ?"

Si c'était le moment d'avoir une discussion au sujet de ce qu'il venait de se passer, je crois que je n'avais aucun moyen d'y échapper. Sauf si je sautais par la fenêtre de ma chambre. Mais avec ma chance des derniers jours, le risque de me tordre une cheville ou de me désaxer une épaule était trop grand. Je lui dis d'entrer, en essayant tant bien que mal de ne pas trop lui montrer mon dégoût.

"Euh... Hem... Ça va fiston ?
— Ouais, et toi ? Je m'attendais pas à ce que tu sois déjà rentré.
— Et je ne m'attendais pas à ce que tu aies déjà fini les cours. Tu as séché ?
— Séché ? Nan, je te rappelle qu'on a qu'un cours le mercredi. Tu sais, à l'extérieur.
— Ah, oui... Écoute, je sais pas trop par où commencer, mais ce que tu as vu tout à l'heure... Je suis désolé Josh. Tu n'aurais pas dû voir ça, ni apprendre que je voyais quelqu'un de cette manière.
— Pour la voir, je l'ai vue, c'est sûr. J'aurais dû t'envoyer un message pour te dire que je rentrais, même si je pensais pas que tu serais à la maison. Et encore moins tout nu. Sur quelqu'un.
— Je... C'est allé vite avec Linda. Je l'avais invitée à la maison boire un café, on devait parler des dossiers sur lesquels on était en retard et...
— Je veux pas en savoir plus P'pa, vraiment. Elle a l'air charmante en tout cas, et je suis sûr qu'elle l'est encore plus quand elle est habillée. On peut changer de sujet ? Il s'est passé un truc dont j'aimerais t'en parler.
— Rien de grave ? Tu as eu un soucis avec un élève ?
— Nan... T'as pas écouté les infos ? Ah non, pardon, t'avais d'autres occupations. Bref. Y a un gars de ma classe qui a disparu. Tout le monde pense qu'il a fugué, mais j'y crois pas. C'est impossible."

Je me mis à lui expliquer tout ce que je savais sur Lewis, et pourquoi je trouvais ça improbable qu'il ait disparu de son plein gré, en omettant volontairement la partie concernant Wolf et ce qu'il s'était passé plus tôt avec Mike. Puis je sortis le collier de ma poche. C'est en l'examinant que quelque chose que je n'avais pas remarqué me sauta aux yeux : une trace rougeâtre, minuscule mais visible. Était-ce du sang ? Ou un début d'oxydation ? Si j'allais voir la police, il y aurait mes traces sur la preuve. Est-ce qu'ils allaient croire que j'étais coupable ou complice ? Je sentis des larmes monter à nouveau mais cette fois, je ne pouvais pas les laisser couler, pas devant mon père. Il me poserait trop de questions auxquelles je ne voulais pas répondre.

"T'en penses quoi P'pa ? 
— Donc si j'ai bien compris, c'est un élève sans histoire, futur footballeur, qui ne donne plus de signes de vie et toi, tu retrouves son collier dans la forêt ? 
— C'est ça. Y a un truc qui cloche, mais j'arrive pas à trouver quoi. Il avait aucune raison de se trouver dans Fernwood, et son collier en avait encore moins de se trouver pile à l'endroit où on a fait cours.
— Je te l'accorde, y a un truc qui va pas. Personne a son contact ? Personne a essayé de l'appeler, de le localiser ? Et ses parents, ils ont bien dû donner des renseignements non ?
— J'en sais rien, la seule info que j'ai c'était l'alerte disparition à la radio, c'est tout. Je vais essayer de trouver l'adresse de ses parents, peut-être que j'en apprendrais plus grâce à eux.
— Fiston, sois prudent surtout. Les autorités sont sur le coup, laisse-leur le temps de mener l'enquête. Et si c'est vraiment un enlèvement, il faudra que j'aille parler à ton prof, Wolf. Qu'il vous mette en garde. Y a jamais eu autant de disparitions dans la région, enfin pas depuis des siècles."

Pas depuis des siècles ? Il n'avait pas tord, si j'en croyais mes récentes trouvailles. Mon père quitta ma chambre, et je pris place devant mon ordinateur. Le dossier J. W. et J. Jr W. - enquête  était toujours ouvert, et je me dis que je le remplirais plus tard, finalement. Je tapais le nom de Lewis dans la barre de recherche quand la première chose qui s'afficha était sa photo, suivie du mot disparation, écrit en gros dans un bandeau rouge. On pouvait voir des commentaires comme "trop triste", "cété un mec cool", "reviens stp". Autre chose concernant les ados : on aime pas trop s'embêter à écrire les mots correctement si on peut écrire plus rapidement. Je n'eus pas besoin de descendre la page bien loin quand une vidéo apparue, avec une femme éplorée qui parlait. Je compris rapidement qu'il s'agissait de sa mère, avant même que ça ne me soit confirmé par le journaliste.

Charlotte Mayer, blonde. Lewis lui ressemblait beaucoup. Ses yeux avaient dû tellement pleurer que je me demandais comment elle arrivait encore à les garder ouverts. Elle tenait dans ses mains une photo de Lewis en tenue de foot, une médaille autour du cou, un sourire illuminant son visage. Elle implorait qu'on lui ramène son fils, qu'il avait une famille aimante qui l'attendait nuit et jour, et que toute information le concernant serait récompensée. Pauvre femme. Le journaliste lui demandait si des choses avait disparues chez eux, comme de l'argent par exemple, et s'il avait une petite amie avait qui il aurait pu partir. La réponse fut claire et sans appel : 

"Mon fils n'est pas un voleur monsieur ! Son rêve est de devenir footballeur professionnel, il s'investit dans ses entraînements plus que dans n'importe quoi d'autre. Il m'a lui-même dit ne pas vouloir de petite copine, car ça aurait été une distraction dans ses objectifs ! Quand son entraîneur m'a appelé parce que Lewis ne s'était pas présenté à son entraînement, j'ai tout de suite compris qu'il y avait un problème. Je l'ai appelé sur son portable autant de fois que possible, jusqu'au moment où je suis tombée directement sur le répondeur. Je vous en supplie, qui que vous soyez, rendez-moi mon enfant, je vous paierai, ce que vous voulez."

Ses larmes me brisèrent le cœur. Il n'y avait aucune information supplémentaire, si ce n'est un numéro de téléphone pour la contacter. Sur internet non plus, je ne trouvais pas son adresse. Et je me voyais mal demander au lycée si quelqu'un l'avait, des soupçons peuvent vite arriver. Deux choix s'offraient à moi : écrire à la personne ayant publié l'article sur le cannibale, ou écrire à la mère de Lewis. Je pouvais faire les deux bien sûr, et les deux auraient des conséquences. Si je prévenais Charlotte que j'avais trouvé le pendentif de son fils dans la forêt, j'allais être bombardé de question afin de savoir pourquoi je n'avais prévenu personne avant. Si la personne aux histoires macabres était toujours active sur son site, j'avais peur de divulguer des choses à une personne potentiellement mal intentionnée. Je notais le numéro de Charlotte dans mon téléphone et me dis que je lui écrirais après.

Nouvelle page internet, il fallait que je retrouve l'article. Il me semblait avoir vu, tout en bas, une case à remplir pour donner d'éventuelles informations. Cela faisait plusieurs minutes que je le cherchais, mais impossible de le retrouver. Je fouillais mon historique, il devait bien apparaître quelque part. Je vous rassure, rien de choquant. Vive la navigation privée. Bingo ! Le nom avait été changé, et le contenu aussi.

James Wolf, le cannibale qui sévissait dans les années 1900 : le retour ?

Merde alors. Là, ça devenait vraiment flippant. Je passais en revue les nouvelles informations, qui avaient été rajoutées en en-tête de l'article :

MISE À JOUR : Ne me dites pas que je suis la seule à trouver les disparitions de ces derniers mois inquiétantes. Je pense que comme moi, vous avez entendu parler de Lewis Mayer, un élève de Moreland High School qui a disparu en début de semaine. J'ai trouvé des infos sur lui, et tout ce que je peux vous dire c'est qu'il était proche de Fernwood. Je pense aller y faire un tour dès que possible, et je vous tiendrai au courant de l'avancement de mes recherches. Faites attention à vous, et je reste toujours disponible si vous détenez des informations. Bien à vous, l'Anonyme.

Eh bien ! J'avais donc affaire à une autrice. À nous deux, l'Anonyme. Il est temps que je te dévoile ce que je sais.