Chapitre 1

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Pour la quatrième fois de la journée, je me dis que tout est trop grand. L'aéroport immense que j'ai parcouru de long en large, la voiture d'Andie qui ressemble à un camion benne et les routes de campagne qui sont plutôt des autoroutes. Même le sourire de la jeune femme est démesuré. Et cette baraque est gigantesque ; je risque de m'y perdre une paire de fois.

Ma guide gesticule en tous sens en fonçant dans le couloir tapissé d'un motif floral plutôt passé, alors que je m'acharne à tirer ma valise ultra-lourde sur le parquet grinçant. Ça sent le bois et le détergent. Des photos de famille plus ou moins jaunies me regardent passer avec amusement; des mariés, des enfants, des vieux, qui posent figés pour toujours, et forment un comité d'accueil plus ou moins sympathique. Devant moi, Andie me noie sous les informations, et bien que je ne capte qu'un mot de temps en temps, je ne fais pas d'efforts, atomisée que je suis par les quinze heures de voyage.

Quelle idée franchement ! MAIS QUELLE IDEE !

Mon estomac se serre à la pensée que je suis coincée ici pour un bout de temps, et une petite voix me dit que je ferais bien de m'y faire. Au moins, ça me changera de mon vingt mètres carrés d'étudiante. Je pouvais littéralement remuer la sauce tomate dans sa casserole tout en prenant ma douche. Ces architectes suisses sont de vrais génies ! Des champions du Tetris.

J'essaye de reporter mon attention sur la jeune femme blonde qui parle sans interruption depuis qu'elle m'a récupérée quatre heures plus tôt au terminal B. Je fais de mon mieux pour suivre, mais tout l'anglais que j'ai appris à l'école semble s'être envolé, et entre la fatigue, son débit et son accent... C'était plus facile quand on communiquait uniquement par mail. Elle me jette un coup d'œil par-dessus son épaule et ma détresse doit se voir sur mon visage, parce qu'elle ralentit le débit. Mon niveau d'anglais lamentable la remercie infiniment.

Elle est exactement comme je l'avais imaginée : joyeuse, lumineuse, sympathique ; terriblement américaine. Elle sourit constamment, me répète qu'elle est amazed que je sois là, et fait de son mieux pour me mettre à l'aise. De mon côté, je fais des efforts titanesques pour baragouiner quelques mots polis avec mon incroyable accent français, qu'elle trouve so cute. C'est une boule d'énergie, et je doute que ça s'arrange au cours des six prochains mois que je vais passer chez ses parents. Ma vieille Manon, il va falloir suivre !

On arrive enfin dans une chambre du premier étage, tout au bout du couloir ; les fenêtres donnent sur les champs à l'ouest bordés par une jolie forêt. En plein milieu du mois de mars, dans l'après-midi, c'est un poil sombre, mais la pièce est propre et les draps frais embaument la lessive. Ce lit est le truc le plus sexy que j'ai vu depuis que j'ai décollé ; je rêve de m'affaler dedans et de dormir trois jours de suite.

— Je passe te chercher dans une heure pour te présenter ma famille ? La salle de bain est là.

On repassera pour les trois jours de sieste.

Enfin, je peux souffler cinq minutes ; la tornade Andie m'a presque plus fatigué que le vol. Cumuler les deux, c'est de la folie furieuse. Je me laisse tomber sur l'énorme matelas dans un joyeux grincement de ressorts et ferme les yeux un instant.

Je le savais depuis longtemps, c'était inscrit dans le calendrier familial depuis des mois, et un long voyage à l'étranger faisait partie du plan de vie organisé par mes parents pour moi depuis ma naissance. Mais au moment du départ, je me suis rendu compte que je n'avais vraiment pas envie de partir. Et maintenant, je suis perdue ici ; je suis déracinée, lâchée dans un monde trop grand loin de ma routine confortable, et j'ai envie de hurler. Dans le style des mandragores dans Harry Potter. Je ne voulais pas quitter la Suisse. Je voulais juste me trouver un boulot tranquille et vivre ma vie, tranquille. Et mes parents étaient bien d'accord. Mais d'abord, il faut que tu apprennes l'anglais. Alors sans grande motivation, j'ai exhumé l'adresse mail de ma correspondante de lycée, et on a organisé tout ça. En parfaite fille qui obéit à ses parents, j'ai obéi, mais franchement... J'aimerais qu'on passe directement à la prochaine étape. Celle où on me fiche la paix.

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