Chapitre 23

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Pour le dernier soir avant leur départ, mes parents nous ont tous invités chez Mercedes. On nous installe en terrasse où un gros grill nous attend, à côté d'une table couverte de grands saladiers de coleslaw, de salade de maïs et de frites. Mon estomac gargouille. La terrasse donne sur un petit espace herbeux où les insectes font leur vie. De la salle nous parviennent quelques notes d'un morceau de samba.

Tout le monde prend place, et Martha, qui fait mine de s'asseoir à côté de moi, change brusquement d'avis, laissant le seul siège libre à ma droite, pour Tiago. La vieille sorcière l'a fait exprès. Son petit jeu ne m'amuse pas du tout. Il s'assied pourtant comme si de rien n'était, et je capte les regards contrits d'Andie et de Julie. Je suis sûre que cette situation lui déplaît au plus haut point, mais c'est trop tard. Finalement, je vais devoir me faire une raison. De toute façon, comme je reste au ranch, je vais le côtoyer, alors autant que je m'habitue ; on ne pourra pas s'éviter éternellement. Mais j'aimerais bien comprendre pourquoi il m'en veut autant. Histoire de passer à autre chose.

Une fois que Mercedes nous a apporté l'apéritif, mon père lève son verre. Je souris un peu anxieuse. Qu'est ce qui lui prend ? Il a écrit quelques mots qu'il a traduits sur internet, et il récite, phonétiquement, son petit discours de remerciements. Je le trouve touchant ; il a fait de gros efforts, et même si j'ai eu du mal à me faire à l'idée que mes parents aient débarqué sans prévenir, je me rends compte que les voir partir me rend triste. Il remercie Craig et Jessica et me souhaite de m'amuser pour les quelques mois qu'il me reste à passer au ranch. Et pour la suite, où que j'aille. Il me félicite également pour le petit contrat que j'ai signé avec la ville de Baxton. Ce n'est pas grand-chose, mais mes idées ont plu, et ils me confient le rafraîchissement de la vitrine internet de la ville. J'aurai fini avant de partir, et ils me payeront des cacahuètes, mais je suis fière de moi. Et puis, le projet a également beaucoup plu à mon professeur, qui m'a déjà renvoyé quelques corrections mineures. Mais cette fois, c'est dans la poche.

Mon père s'adresse ensuite à Julie, qui a décidé de rester un peu plus longtemps, histoire de découvrir le pays, et lui souhaite à elle aussi un excellent séjour. Puis il se tourne vers Tiago.

— Jeune homme, vous faites partie de la famille. On a mis un peu de temps à comprendre que loin d'avoir mis la vie de notre fille en danger dans cette cave, vous l'aviez arrachée à une mort certaine. Nous vous en sommes infiniment reconnaissants.

Mon cœur se serre. Sur ma droite, je perçois Tiago qui remue sur sa chaise. Il déteste être mis en lumière, je le sais.

— Vous êtes le bienvenu chez nous, n'hésitez pas. Vous l'êtes tous ! conclut mon père en s'adressant chaleureusement aux convives.

Je suis horriblement mal à l'aise. Je fixe une fourchette qui rutile à quelques centimètres de ma main, essayant de me concentrer pour empêcher mon corps de réagir à sa présence, toute proche ; j'ai le cœur dans un étau. Du bout de l'ongle, je creuse un sillon dans le bois de ma chaise.

Il me manque, c'est fou. Comment vingt-quatre heures à picoler puis à s'engueuler dans une cave ont-elles pu transformer ainsi mes sentiments pour lui ? Les applaudissements me ramènent à la réalité et je plaque un sourire poli sur mes lèvres. Andie se lève à son tour.

— Moi j'ai une surprise pour Julie et Manny.

Elle échange un sourire espiègle avec Craig et Jessica. Je m'attends au pire.

— On va passer une semaine entre filles à Atlanta ! Je me suis dit qu'après toutes ces émotions, vous auriez besoin de souffler un peu. Et puis, vous êtes là pour faire un peu de tourisme aussi, non ? On part demain matin, aux aurores, après avoir déposé les parents de Manny à l'aéroport.

Je passe le reste du repas plutôt détendue par la super idée d'Andie. Ça me fera beaucoup de bien de passer du temps avec elles, sans le spectre de Tiago qui plane. Et ça me permettra de fêter comme il se doit mon succès professionnel. Mon regard croise celui du cowboy quelques fois. Je lui trouve un air étrange, comme s'il voulait me dire quelque chose, mais il reste muet. Et cette fois, ce n'est pas moi qui irai vers lui.

Une fois rentrée, je m'étale dans mon lit, apaisée, et sombre lentement vers un sommeil réparateur, et les pas hésitants qui font grincer le plancher devant la porte de ma chambre, puis qui, après quelques minutes, font demi-tour, n'y changent rien.

TornadesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant