Chapitre 6

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Le week-end arrive super vite. Andie nous a interdit de participer aux préparatifs ; c'est sa fête, et en bonne hôtesse, elle refuse que quiconque mette la main à la pâte. À part Granny Martha, qui aurait fait une attaque si on ne l'avait pas autorisée à s'occuper de la nourriture.

Je suis contente d'avoir l'occasion de mettre de côté mes angoisses. J'ai ruminé toute la semaine, je n'ai pas encore osé répondre au mail de mon prof, j'ai fait l'autruche. Je n'en ai parlé qu'à Julie. Mais ça me ronge. C'est la première fois que je rate quelque chose, et la claque que j'ai prise en pleine tête m'a assommée. C'était violent. Je sais que je devrais en discuter avec mes parents, mais je n'en ai pas le courage ; et puis en quoi ça m'aiderait de les avoir sur le dos ?

Alors je prends plaisir à pomponner mon bec d'autruche plein de sable et je passe du temps à coiffer ma chevelure rebelle. J'ai toujours trouvé ça parfaitement illogique de devoir mettre bien plus d'énergie à dompter ma crinière quand je la lâche qu'en la nouant en une queue de cheval toute simple. Mais si je ne déploie pas les grands moyens, en trente minutes de liberté, ma tignasse prend son indépendance, et devient une entité farouche, une amazone pileuse qui chevauche furieusement mon crâne, et contre laquelle je ne peux gagner aucun combat. Jamais. Ce soir, je sors le grand jeu : cascade de boucles ébènes savamment maîtrisées, eyeliner noir discret, et les habits que j'ai achetés avec Jessica.

Après une grosse demi-heure de travail, je suis très satisfaite du reflet que me renvoie le miroir. J'attrape mon chapeau sur la commode. Je suis un vrai canon comme ça, mais sans en faire trop. J'ai mis ma nouvelle veste comme une carapace, pour me mettre dans le rôle de la cowgirl courageuse que je voudrais devenir.

Je capte le regard approbateur de Jessica quand je descends l'escalier. Pas de signe de Ricky. Tant pis pour lui !

— On a deux ou trois choses à amener en pick-up, me dit-elle.

— Je prends Willow alors ! je réponds, contente de m'offrir un moment, seule dans la nature avec mon tout nouveau meilleur pote.

Je me sens comme dans un film. Le soleil qui descend sur l'horizon, les cheveux au vent, mon chapeau sur la nuque retenu à mon cou par une fine lanière, à avaler les mètres sur le dos de mon petit cheval, dans une nature sauvage. Je me sens plus vivante que je ne l'ai jamais été. J'inspire à pleins poumons. L'odeur froide de la terre, de l'herbe, du bois m'emplissent les narines. J'hume l'humus, je le sens infiltrer mon esprit et emporter les tracas dans un courant d'air. J'oublie tout ce qui me pèse et m'empêche d'avancer. J'aurais pu continuer comme ça avec Willow pendant des heures et ne m'arrêter qu'au bout du monde. Je me sens sexy, libre, vivante, et mon cœur se gonfle d'un amour tendre pour la femme que je suis en train de devenir. Un rire joyeux m'échappe.

Sur ma gauche, un bruit de course. De la pénombre, à toute allure, un immense cheval me fonce dessus, noir comme la nuit. Je me crispe, Willow fait un écart qui me déstabilise. Mon cœur bat la chamade et je suis à deux doigts de tomber de ma selle. En me voyant, le cavalier ralentit, me dépasse et disparaît dans les ombres, sans même s'arrêter pour s'assurer que tout va bien. Tous mes muscles se sont contractés d'un seul coup. Moi qui pensais être seule, l'intrusion de ce monstre tout en muscles m'a déroutée. Willow et moi avons eu peur et nous mettons un moment à reprendre la route. Le moment de plénitude est passé, volé par l'inconnu sur sa bête de guerre ; mon infinie confiance en moi a été comme martelée par les sabots du monstre et il n'en reste qu'une fine poussière qui s'envole dans la brise. On m'a dérobé ce parfait moment d'intimité et je me sens frustrée. Et un peu honteuse aussi, en pensant au cavalier qui m'a surprise en train de me la jouer à la Pocahontas.

Quand j'arrive chez Andie et Booker, l'étalon noir qui nous a effrayé est accroché à une barrière. Avec une petite appréhension, j'attache Willow à côté de lui. Leur différence de taille est ridicule. Je me sens ridicule. On dirait que je monte un poney. Je lève la main vers le cheval immense. Son cou droit, sa tête gigantesque ; ses naseaux cherchent mon odeur. Je pose la paume sur son front. Il est d'un calme olympien. Il émane de ce cheval une puissance et une force titanesques, et pourtant, il semble doux comme un agneau. Je souris dans l'ombre. La rencontre est hypnotisante. Son cavalier en revanche, j'aurais bien deux mots à lui dire.

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