Chapitre 9

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Avec mon anglais qui s'améliore, je me sens prête à accompagner Jessica au marché. J'ai acquis un vocabulaire époustouflant en ce qui concerne les fruits et légumes du potager, et les végétaux en général. Je me suis ouverte et je parviens à parler de plus en plus, ce qui me permet de mettre mes talents de vendeuse au service de mes logeurs. Nous préparons les cagettes de nourriture le vendredi après-midi et partons très tôt le samedi matin, quand la nuit est encore noire.

— Les légumes sont moches, on ne va rien vendre, grogne Martha, minuscule concentré de négativité enfoncé dans le siège avant.

Jessica lève les yeux au ciel.

— Pourquoi tu insistes pour venir toutes les semaines ? Je ne te demande rien moi !

La vieille ricane. Je ne comprends vraiment pas la dynamique de ces deux-là.

Derrière l'étal, je m'endors à moitié sur les pommes de terre et les laitues, claquée de ma petite nuit.

— Un connard et des fraises s'il te plaît.

Je cligne des yeux et lève le nez vers le client.

— Pardon ?

— Je te réveille ? demande la voix grave que je n'ai jamais entendue si joyeuse.

— Salut Tiago, que puis-je pour toi ? je réponds, un peu perturbée, avec mon ton le plus faussement poli.

— Salut Geneva. Un chou rave et des fraises s'il te plaît.

Je suis sûre qu'il a dit connard. À moins que mon cerveau malade ne s'amuse à me jouer des tours ? Je sonde son visage, suspicieuse. Aucune trace de moquerie sur ses lèvres. Une légère surprise, même.

— Ça va ?

— Ça va, je marmonne en lui tendant le chou le plus moche que je trouve et une boîte de fraises un poil trop vertes.

Il me paye, salue Jessica de loin alors qu'elle est en pleine conversation avec un vieil homme qui gesticule beaucoup. Martha somnole enroulée dans une couverture sur sa chaise pliante ; derrière ses paupières closes, je vois pourtant briller l'éclat d'une pupille alerte.

— Je te vois à la fête de la saucisse ? demande Tiago en se tournant de nouveau vers moi.

Pardon ? Je sens ma bouche s'arrondir dans une moue surprise. Est-ce une proposition, complètement indécente et parfaitement déplacée ? De sa part, je m'attends à tout, mais pas à un sous-entendu sexuel scabreux. En voyant ma tête, il éclate de rire. C'est la première fois que je le vois aussi joyeux, et c'est évidemment parce qu'il se moque de moi. Il affiche des dents blanches impeccablement alignées qui contrastent avec sa peau mate.

— La fête de la saucisse, répète-t-il en désignant une affiche du menton, avant de tourner les talons.

Du coin de l'œil, je suis sûre d'avoir vu Martha sourire.

La fête de la saucisse, oui, ça existe. J'ai encore dû avoir l'air incroyablement intelligente, et pour une fois, je l'excuse de s'être foutu de moi. Je parcours rapidement le flyer. Apparemment, ces saucisses de porc séchées sont la fierté de Conecuh county depuis plus d'un siècle. C'est l'occasion pour tous les habitants du coin de se retrouver pour – je vous le donne en mille – manger des saucisses, faire la fête, et organiser des rodéos, entre autres. Et c'est la semaine prochaine. Toute la semaine prochaine.

J'aborde le sujet avec Jessica dans la voiture sur le chemin du retour. Elle me répond très sérieusement qu'évidemment qu'ils iront à la fête de la saucisse, que tout le monde va à la fête de la saucisse, et que c'est en quelque sorte comme des vacances pour eux. Compris !

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