Chapitre 20

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Les sauveteurs ont vite été rassurés par notre état de santé et ont laissé Jessica nous ramener à Thompson Blossom. Je sens que dans la voiture, elle ronge son frein. Elle brûle de nous poser des milliers de questions afin de se rassurer, mais nous sommes trop choqués, trop fatigués pour supporter un interrogatoire en règle maintenant. Tout ce dont je rêve, c'est de manger quelque chose et de prendre un bain. Mes yeux glissent sur l'autoradio ; il est seize heures trente. Je calcule rapidement qu'on a passé environ vingt-quatre heures sous terre. C'est terrifiant.

Quand je plonge dans la baignoire brûlante, l'eau noircit instantanément. Je me frotte rapidement, la vide, et la remplit à nouveau. Je me rends vite compte, alors que mes facultés intellectuelles reviennent, que j'ai trop de questions pour rester barboter. Je suis bel et bien saine et sauve et je ne peux plus rester inactive. Mon corps reste tendu par le choc que je viens de vivre. Je me sèche rapidement et enfile un legging et un t-shirt trop grand et confortable ainsi qu'un gros pull tout doux, puis je descends dans la cuisine.

Jessica et Craig sont là avec Tiago. Ses cheveux mouillés forment des mèches qui gouttent sur son front plissé, et il porte un T-shirt blanc un poil trop petit pour lui, qui moule outrageusement son torse parfait. C'est environ mille fois plus seyant que sa chemise orange ; j'espère qu'il l'a brûlée... J'aperçois une volute noire danser sur son biceps et mon estomac se serre, sans plus de raisons. Il a vraiment une sale gueule. Enfin, façon de parler. Je me sers une tasse de thé chaud, et m'assieds sur une large chaise, en ramenant mes genoux contre ma poitrine.

— Vous nous avez fait la peur de notre vie, vous savez ! dit Craig la voix tremblante d'émotion. On n'avait aucune idée d'où tu étais Manny ! Et toi Tiago, dans ta caravane...

Il a l'air plus vieux, plus faible.

— On est passé vers la maison ce matin, mais on n'a pas trouvé la trappe. Jessica a insisté pour qu'on repasse cet après-midi, par acquit de conscience. Et c'est là qu'on a entendu les cris de Manny. Je ne vous dis pas le soulagement !

Le visage du couple s'éclaire. Je jette un œil à Tiago qui évite soigneusement de regarder dans ma direction. À ce moment, je n'ai pas besoin de me creuser la tête pour deviner ce qui se passe dans son cerveau ; je sais qu'on pense à la même chose : mon pétage de câble, aussi désagréable eût-il été, nous a sûrement sauvé la vie. Comme quoi, laisser sortir ses émotions, ça peut avoir du bon ! Ça enlève un tout petit peu de ma gêne. Personne ne nous demande non plus ce que je fichais là-bas avec lui.

Craig reprend :

— Tiago, tu es le bienvenu ici. On va te préparer une chambre au premier, tu restes ici aussi longtemps qu'il le faudra.

Voyant que le jeune homme va refuser, le visage du fermier se durcit :

— Et ce n'est absolument pas négociable.

***

La nuit est tombée. Je suis étendue dans mon lit, les yeux grands ouverts, nerveuse. Paradoxalement, je ne me sens pas en sécurité. La pièce est trop grande. Les craquements de quelqu'un qui se déplace à l'étage me renvoient à la tornade et mon angoisse monte d'un cran. Je sens mon cœur accélérer, ma peau se recouvre d'une fine couche de sueur glacée, mes mains se mettent à trembler. Ça fait un moment que je suis là, prostrée, envahie d'une angoisse irrationnelle. Je ne peux pas rester dans ce lit. Les jambes en coton, je me lève et traverse le couloir sombre. Je frappe à la porte sans trop réfléchir et j'entre.

Il ne dort pas non plus. Je le trouve torse nu devant la fenêtre grande ouverte ; il regarde la lune et respire profondément l'air de la nuit. Je crois qu'il ne m'a pas entendu frapper et se tourne vers moi surpris.

TornadesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant